la mode, étant devenu celui de l’engouement des plus belles dames, il n’avait qu’une affaire, il n’avait qu’un plaisir : il voulait vivre dans ma pensée, il voulait remplir ma vie. » Au mois d’octobre de cette même année, il fut invité par Louis XV à faire séjour à Fontainebleau. Force fut de s’y rendre et de quitter Julie ; mais jamais, semble-t-il, ils ne furent plus unis qu’au cours de cette réparation. Pendant plus d’une semaine, Julie resta confinée dans sa chambre, seule avec ses pensées, ne recevant personne : « J’attendais une lettre, dit-elle, ou j’en écrivais une[1]. » Mora, de son côté, lui écrivait chaque matin et chaque soir : « L’absence dura dix jours ; j’eus vingt-deux lettres. » Cette abondance épistolaire était d’ailleurs conforme aux habitudes d’un temps où la passion des billets doux fut poussée jusqu’à la fureur. « On a connu ici, — assure Horace Walpole[2], alors en séjour à Paris, — des gens qui s’écrivaient quatre fois par jour. On m’a parlé d’un couple qui ne se quittait jamais, et dont l’amoureux, forcené pour écrire, mettait un paravent entre deux, écrivait à Madame de l’autre côté, et lui jetait les lettres par-dessus. »
Une si rare harmonie les aurait conduits au summum de la félicité humaine, sans les perpétuelles inquiétudes qu’inspirait à Julie la santé fragile de Mora. La provision de forces puisée dans l’air vivifiant de Valence fut promptement dépensée parmi les brouillards de la Seine, l’atmosphère factice des salons, les fatigues de la vie du monde. Quelques mois après son retour, les accidens reparaissaient, légers d’abord, puis plus sérieux, et toujours plus fréquens. Insouciant par nature, sujet d’ailleurs aux illusions des malades de sa sorte, Mora ne s’en affectait guère et reprenait confiance au sortir de chaque crise ; mais son amie, plus clairvoyante, se sentait quelquefois à bout d’espoir et de courage : « Tous les biens de la vie, dit-elle à Suard après une de ces alertes, ne me dédommageraient pas de ce que j’ai souffert depuis lundi… Du reste, depuis trois mois, je suis à la torture, et je n’en aime que davantage. » Les premiers jours de juin 1772, l’hémorragie fut si forte et si longue que, trois journées durant, la vie fut en danger. « Il a été saigné trois fois, et est hors d’affaire, écrit le 7 Condorcet à Turgot, mais il n’avait pas mérité cet accident, et cela est bien effrayant pour ses