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C’était bien pour elle qu’il avait entrepris ce voyage, dont l’objet précis était de tenter un effort suprême et de mettre à profit les dispositions bienveillantes du nouveau ministère[1], pour enlever la nomination d’attaché d’ambassade. « Alors il serait libre d’épouser la personne qu’il aime, et sa carrière lui tiendrait lieu de fortune présente. » Ce que demandait Lamartine, l’entrée de plain-pied dans la diplomatie, n’était pas facile à obtenir : il s’en rend compte, sait que cela est contraire aux usages, et constituerait un passe-droit pour les autres. De là viennent toutes ces lenteurs et tous ces contretemps. Une fois, on lui offre de l’attacher sans appointemens et en expectative ; mais cela ne fait pas du tout son affaire, ne faisant pas celles de son mariage : ce qu’il lui faut, c’est un poste effectif et un service d’activité. Une autre fois, il s’agit de lui octroyer quelque sinécure bien rentée qui lui épargnerait l’ennui d’avoir à rédiger des dépêches officielles et lui permettrait de se consacrer à un autre genre de littérature ; mais Lamartine sait que le mieux est l’ennemi du bien. Un poste est vacant dans le Nord : il ne peut l’accepter, à cause de sa santé. Turin lui conviendrait à merveille : Virieu vient d’y être nommé… Cependant il ne se décourage pas ; quelque chose l’avertit qu’il est à la veille d’aboutir : les promesses qu’il reçoit se font moins vagues, et de si chaudes protections s’intéressent pour lui ! Mme de Saint-Aulaire, la duchesse de Broglie, bien d’autres encore, s’emploient activement en sa faveur. Telle maîtresse de maison, dont le salon est un centre d’opposition, ne va-t-elle pas jusqu’à prévenir Pasquier qu’on cessera de le combattre, le jour où il aura placé en Italie « un favori de sa société qui est le poète encore inconnu, mais le poète de prédilection du grand monde ? » Lamartine peut s’en remettre à la sollicitude d’avocates si convaincues, et s’abandonner librement au courant qui le porte. L’heure est pour lui unique, tout illuminée par ces premiers rayons de la gloire, plus doux que les feux de l’aurore.

Car l’accueil qui lui est fait laisse bien loin en arrière celui de la saison précédente. Il constate, dès son arrivée, que, depuis son dernier voyage à Paris, son nom a grandi, sa réputation s’est étendue. A la liste de ses admiratrices, telle que nous la connaissons déjà, il faut joindre Mlle d’Orléans, la princesse de Talmont, la princesse de la Trémouille, Mme de Dolomieu, la

  1. Le ministère Decazes (19 novembre 1819) où le baron Pasquier avait le portefeuille des Affaires étrangères.