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duchesse des Cars. C’est, comme on disait à Milly, « la meilleure compagnie. » Lamartine a été décidément adopté par elle. Il n’y a pas de jour qu’il ne soit invité, ici ou là, à dire de ses vers. Il ne peut suffire à la tâche, il est débordé. L’engouement s’est déchaîné avec cette espèce de fureur qui caractérise la mode à Paris. Le moyen pour un poète encore inédit, et pour un jeune homme de trente ans, de résister à cet enivrement ? Et comment un provincial, passant de son Maçonnais sur la scène parisienne, n’y eût-il pas savouré la volupté des applaudissemens ? Aussi Lamartine a beau se défendre d’éprouver aucune espèce de vanité : les plus belles assurances ne prévalent pas contre un fait ; Et le fait est qu’au plaisir de sentir ces caresses de l’adulation Lamartine va sacrifier la plus élémentaire prudence ; ses lettres sont, à ce point de vue, tout à fait significatives. Il est déjà touché par la maladie ; il devrait, avant tout, s’interdire la fatigue des réceptions et des veilles ; la tendresse et la sagesse de sa fiancée ne s’y trompent pas. Lui, pourtant, ne saurait se priver de ce surmenage délicieux. C’est la première fois que s’accuse, avec ce relief, l’un des traits essentiels de sa nature. Lamartine est de ceux qui ont besoin, — un besoin presque physique, — de l’acclamation, et qui jouissent du succès matériellement, comme d’une sensation. Cela expliquera bien des choses dans sa carrière.

Ajoutons enfin que sur le sujet qui fait sa constante préoccupation, son mariage, il est sans inquiétude sérieuse. En dépit des tracasseries renaissantes du terrible oncle de Montceau, et de la résistance à peine entamée de la non moins terrible Mme Birch, il ne doute pas de l’heureuse issue de tant de tribulations. Ce n’est plus qu’une affaire de temps. Ainsi tout se réunit pour faire de ces premières semaines de l’année 1820 un moment radieux, où ne se mêle qu’une ombre : le souci d’une santé qui décline. C’en est le « journal » qu’on va trouver dans ces lettres si pleines de tendresse confiante et d’une si jolie note d’intimité.


Jeudi, 23 décembre, à Paris[1].

Je suis, depuis trois jours, chère Marianne, heureusement arrivé ici ; et après avoir vu les principales personnes qui m’y ont pour ainsi dire rappelé, je conserve les plus vives espérances de succès dans les démarches qu’elles se donnent la peine de faire pour moi. J’ai déjeuné ce matin chez

  1. « Pour Mademoiselle Marianne Birch, à elle seule. »