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la belle-mère de M. de Cazes[1], tout le monde m’a offert l’intérêt le plus actif auprès du ministre des Affaires étrangères qui a été déjà très prévenu en ma faveur, à ce qu’on m’a assuré. On doit me faire passer la soirée un de ces jours avec lui, parce qu’il a manifesté le désir d’entendre une de mes tragédies dont il a beaucoup entendu parler ; je ne doute pas que cela ne le détermine plus fortement à m’être favorable…

Je suis bien en plein repos sur l’avenir, je ne souffre que du présent et je vous aime, je vous aime chaque jour davantage et comme vous méritez d’être adorée. Ah ! que vous le méritez bien, chère, mille fois chère Marianne ! Et que je serais un grand monstre à mes yeux, si je le sentais moins ou si je l’oubliais une seule minute de ma vie ! J’ai passé la soirée d’hier à parler de vous chez la marquise de Raigecourt, une de mes meilleures amies ; c’est une femme de soixante ans qui me traite absolument comme son fils, qui a plus de soins de moi, de mes intérêts, de ma réputation, que moi-même ; elle m’a demandé mille détails ainsi qu’une de ses filles sur nos projets et nos sentimens ; j’ai été heureux deux heures en ne m’entretenant que de vous ! Elles connaissent beaucoup M. de Pradel chez qui vous alliez, je crois, et vont beaucoup chez la duchesse d’Orléans, où la marquise de la Pierre m’a dit aussi qu’elle allait ; il est convenu que, si vous revenez à Paris, je tâcherai de vous faire voir à elle et connaître ; elle vous aime déjà sur parole. C’est là où je passe tous mes bons momens quand je suis ici, je m’y repose dans le sein de la plus aimable amitié des autres sociétés que je suis forcé de voir. Mademoiselle d’Orléans ainsi que son frère se sont offerts d’eux-mêmes à me recommander fortement au ministre, dès qu’ils ont su mes désirs ; je dois les voir cette semaine. Adieu. Je ne suis pas mal de santé, excepté mes yeux qui me fatiguent, depuis Aix ; je puis à peine voir ce que j’écris, mais je le sens, c’est assez ; et vous, vous devinerez. Ah ! devinez aussi tout ce que je vous envoie de tendresse et d’amour avec cette lettre, avec chacune de mes pensées !


Paris, 5 janvier[2].

Je ne reçois rien de vous, chère Marianne. Pourquoi ? Ah ! si vous saviez combien j’ai besoin plus que jamais d’être soutenu et consolé par vos lettres divines, vous ne me laisseriez pas si longtemps dans le désert d’hommes où je me tourmente, sans m’envoyer un peu de cette manne qui me fortifie. Mais ne me grondez pas : je ne me plains pas, je m’inquietterais plutôt. Je sais trop que ce ne doit pas être votre faute ; il y a sans doute quelque empêchement nouveau : c’est ce qui me fait frémir… Je n’ai rien de nouveau à vous dire cependant, si ce n’est que tous les jours j’éprouve mieux tout ce que vous êtes devenue pour moi et qu’il n’y a plus une minute de ma vie où vous soyez séparée de moi ; j’espère que nous en sommes venus à cet heureux point où deux âmes n’ont qu’une pensée…

Si on me donnait à choisir parmi toutes les femmes de la terre celle à laquelle je voudrais être uni, ce serait vous en toute vérité. D’après cela jugez si je dois me plaindre. Non je ne me plainds de rien pour vous mériter.

  1. Mme de Saint-Aulaire.
  2. « Pour Mademoiselle Birch en personne, à Genève. »