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Elle prenait goût à la vie et à la vérité. Il y eut à l’origine, et dans la création de l’opéra-comique, plus d’amour pour le réel qu’on ne le croit généralement. La grossièreté même n’en fut point absente. Au genre précieux de Favart on avait vu succéder le genre poissard de Vadé., « L’auteur de la Pipe cassée et des Bouquets poissards, ce « Téniers de la poésie, » avait inventé de composer avec les scènes de la vie familière des forts à bras du Port aux blés et des dames de la Halle, de petits tableaux qui prétendaient à une exactitude toute naturaliste. L’invention avait plu surtout dans les salons, la gentillesse en consistait à attraper le ton juste et le geste approprié pour lâcher des bordées de trivialités et d’injures empruntées au répertoire des harengères et des portefaix. C’est ce genre que Vadé transporte au théâtre avec son opéra-comique des Racoleurs (1756) dont les personnages s’appellent Mme Saumon, marchande de poisson, Javotte, Toupet, perruquier, la Ramée, Jolibois et Sans-Regret[1]. »

Il est vrai que ce mouvement provoqua bientôt un mouvement contraire. « Je sens, écrivait Favart, combien une gaîté trop libre et le mauvais goût des équivoques doivent répugner aux bonnes mœurs, et jusqu’à quel point ce serait manquer de respect à une cour vertueuse, » — on était en 1760 ! — « que de lui offrir les tableaux de l’indécence. » Le mot est justement celui de certaine prude, assurant « le soir, au souper du duc de Choiseul, qu’on ne pouvait pas entendre deux fois le Tableau parlant, parce que les accompagnemens y étaient d’une indécence outrée[2]. » Elle songeait peut-être à l’air fameux de Colombine : « Vous étiez ce que vous n’êtes plus, vous n’étiez pas ce que vous êtes, » où l’orchestre, qui raille et menace le bonhomme Cassandre, imite plaisamment le chant du coucou.

S’il fut d’abord libertin, il s’est bien amendé, ce genre de l’opéra-comique, devenu le plus innocent des genres. Il a pourtant conservé toujours, et quelquefois sous la convention même ou l’artifice des apparences, un certain amour de la vérité moyenne, familière, mais de la vérité. C’est pour être plus vrai que l’opéra, plus proche de nous, plus vivant de notre vie en

  1. M. René Doumic, art. cité. — Voir aussi : les Théâtres de la Foire, par Maurice Albert ; 1 vol. Hachette. — Heulhard : la Foire Saint-Laurent, son histoire, ses spectacles. — Campardon : les Spectacles de la Foire.
  2. Grétry, Essais.