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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/201

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de fait que la musique étrangère avait tout envahi, et que le public était persuadé qu’on ne pouvait que se traîner à la suite de Rossini. La tâche n’était pas facile de le faire revenir de ce préjugé. J’ai la gloire de l’avoir vaincu cl les artistes français m’adressent continuellement des remerciemens. Mais je crains que le zèle mal exprimé, ou exprimé avec passion, ne vienne troubler l’harmonie. » Rien heureusement ne la put rompre entre l’auteur du Barbier et celui de la Dame Blanche. Les rossinistes, il est vrai, tournèrent le dos à Boïeldieu ; mais Rossini lui tendit les bras. « Jamais, lui disait-il, en le félicitant, jamais un Italien, fût-ce moi-même, n’aurait écrit le finale de la vente. Nous n’aurions mis là que des Felicita ! » Peut-être n’était-ce pas assez dire, mais ce n’était pas mal dit non plus. Rossini sans doute eût déployé là plus de puissance ; il eût emporté la scène d’un seul mouvement, en un tourbillon de bruit et de joie. Boïeldieu l’a distribuée en épisodes variés, et, sans négliger l’ordonnance générale, ce n’est pas par un grand parti pris, c’est par le nombre et la finesse des détails qu’il a rendu la vie et la vérité.

Vérité d’ordre familier, ou pratique, et dont la musique, pour cette raison, ne s’était pas encore occupée. Grétry pourtant avait cru possible, souhaitable même, qu’elle essayât de l’exprimer : « Je voudrais, lisons-nous dans les Essais, je voudrais voir traiter en grand ces maudits faiseurs d’affaires ; je voudrais dévoiler leurs turpitudes ; je voudrais qu’on démasquât ces infâmes qui ont mille et une manières de vous voler cent mille francs et qui rougiraient à l’idée de vous prendre votre mouchoir. La scène représentant l’intérieur de la Bourse ; cent fripons rassemblés et se chuchotant tous à l’oreille ; tous dupes ou fripons, et souvent l’un et l’autre tour à tour… offrent une situation théâtrale, propre au plus beau finale de musique. »

Moins grandiose que la scène imaginée par Grétry, sans rien non plus de pathétique, le finale de la Dame Blanche est un peu du même genre. La musique y traite un de ces sujets auxquels il semble que par nature elle doive répugner. « Les affaires sont les affaires, » et non point du tout des chansons. Un acte notarié n’offre rien de commun avec un acte d’opéra-comique et les adjudications immobilières n’ont pas lieu d’habitude au son des violons. Mozart avait reculé devant l’audience du Mariage de Figaro. Boïeldieu montra plus de hardiesse. Hardiesse heureuse : car si le finale de la vente est un chef-d’œuvre de mouvement