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Cet agent unique, obligatoire, seul qualifié pour inoculer le microorganisme de la fièvre jaune à l’homme, c’est un moustique, un maringouin, un mosquito, un cousin, pour lui donner ses différens noms vulgaires. Mais ce n’est pas un moustique quelconque, c’est un moustique d’un genre et d’une espèce parfaitement déterminés, la Stegomya calopus que, récemment encore, on appelait Culex fasciatus. Au temps de Linné, en 1758, on ne connaissait que six espèces de cousins. En 1902, on en décrivait deux cent cinquante espèces, et le nombre s’en est accru si rapidement depuis lors qu’il est présentement bien près d’atteindre le chiffre de quatre cents. Le naturaliste anglais F. V. Theobald, qui fait autorité en la matière, en a distingué vingt-neuf genres et il a créé pour l’un d’eux le nom de Stegomya (mouche qui se cache) : dans ce genre nouveau il a établi vingt-deux espèces, et c’est l’une d’elles, la Stegomya calopus, qui, à l’exclusion de toute autre, communique le parasite de la fièvre jaune de l’homme malade à l’homme sain. Cette stégomie est d’ailleurs la plus cosmopolite de toutes les espèces de cousins et sa distribution étendue explique l’extension que la redoutable maladie n’a cessé de prendre depuis la découverte de l’Amérique.

Avant d’arriver dans le sang de l’homme le germe de la fièvre jaune a fait un stage obligatoire dans les tissus du moustique et réciproquement. C’est là une donnée de première importance. La maladie de l’homme suppose la maladie du moustique et inversement. Seulement la maladie de l’insecte est légère, presque inappréciable, tandis que celle de l’homme est grave. Si jamais l’espèce humaine vient à être débarrassée du micro-organisme de la fièvre jaune, la stégomie calope en sera débarrassée du même coup. Il y a ainsi une sorte de pacte pathologique entre l’homme et le moustique, une sorte de symbiose morbide dont l’existence du bacille infectieux est le prix. On conçoit dès lors que la disparition du fléau, c’est-à-dire du microbe parasite, ait pour condition la rupture de ce pacte. Il faut isoler l’homme sain du moustique parasité ; il faut isoler le moustique sain de l’homme parasité. Il n’y aurait pas d’inconvénient à laisser l’homme sain en présence du moustique sain. Voilà théoriquement le thème. Pratiquement la stratégie sanitaire se résume en cette formule : éviter le moustique, le tuer ou le guérir. C’est en réalisant isolément l’un de ces trois objectifs, ou tous les trois simultanément, que les services sanitaires sont parvenus à assainir l’Ile de Cuba, le littoral brésilien et plus récemment le territoire de Dakar dans notre colonie de l’Afrique occidentale. On a réussi à purger ces régions de la