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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/234

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transporté au loin par le vent : il le redoute ; il ne s’aventure pas au dehors dès qu’il y a un souffle d’air. Le problème se trouve ainsi simplifié : il ne s’agit plus de protéger des étendues immenses ; il suffit de protéger l’habitation et ses alentours immédiats, la ville et une zone restreinte autour de celle-ci. Cependant, il serait illusoire, même dans cette étendue restreinte, de prétendre saisir l’insecte au vol ou au repos. On le laisse achever sa courte existence ; on lui interdit seulement d’avoir une postérité. On empêche la femelle de pondre, en supprimant les petites masses d’eau tranquille, stagnante, qu’elle recherche pour y déposer ses œufs et qu’elle trouve dans tant d’ustensiles de ménage ou de jardin au fond desquels on laisse séjourner de l’eau. De là l’efficacité des mesures qui interdisaient aux Havanais de conserver de l’eau ailleurs que dans des récipiens fermés ou recouverts d’une couche d’huile ou de pétrole.

L’efficacité des mesures prises par les docteurs Gorgas, Finlay et Guiteras à la Havane, a été complète. La fièvre jaune a disparu. Le 4 avril 1904, dans son message aux Chambres, le président de la République cubaine s’exprimait ainsi : « Il n’y a pas eu, à Cuba, depuis 1901, un seul cas de fièvre jaune non importé. Le pays doit connaître cette excellente situation sanitaire, dont il est redevable à la perfection des mesures de prophylaxie et à la vigilance des autorités sanitaires. »

Les choses se sont passées de la même manière au Brésil. Le docteur Oswaldo Cruz, chargé d’organiser la lutte contre la fièvre jaune, refit à Rio de Janeiro ce qui avait été fait à la Havane. Le succès fut pareil. L’application des mesures commença le 20 avril 1903. La mortalité, qui auparavant était en moyenne de 150 décès par mois, tomba à 8 au mois d’avril et à 4 au mois de juin. Au mois de janvier 1904, on ne comptait que 3 décès.

La France s’est décidée à suivre ces exemples encourageans. Le gouverneur général de l’Afrique occidentale, M. Roume, a adopté une réglementation analogue à celle de la Havane et de Rio de Janeiro, et il a su en imposer l’observation. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Le 29 mai 1905, un malade de fièvre jaune importée mourait à Dakar. Grâce aux mesures prises, ce décès n’a été suivi d’aucun autre. L’épidémie a été arrêtée à son premier pas, et un nouveau désastre épargné à notre colonie déjà éprouvée deux fois en moins de trente ans.


A. DASTRE.