Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aussi incertaine les intérêts les plus graves est une imprudence, qui le plus souvent coûte très cher. Nous en savons, hélas ! quelque chose. N’avons-nous pas nous-mêmes, en 1870-1871, prolongé la résistance au-delà de ce qu’exigeaient l’honneur et les intérêts nationaux ? N’aurions-nous pas pu traiter à meilleur compte si nous l’avions fait plus tôt, avant que toutes nos ressources militaires fussent épuisées ? Les plénipotentiaires russes ont dit, à Portsmouth, que la Russie avait été battue, mais qu’elle n’était pas vaincue, et cela est vrai, plus vrai même qu’on ne le croyait généralement, puisque le Japon, en cédant sur les dernières difficultés pendantes, a implicitement reconnu qu’il ne pouvait plus prolonger longtemps la lutte. Mais c’est parce qu’elle pouvait la prolonger encore que l’occasion de traiter était encore bonne pour la Russie. Que serait-il arrivé si le malheur continuant de s’acharner contre sa vaillance, de nouveaux désastres étaient venus s’ajouter à ceux qui se sont déjà accumulés ? Ce qui a justifié de notre part, en 1870-1871, une résistance poussée jusqu’aux dernières limites du désespoir, c’est que l’ennemi était sur notre territoire, qu’il en avait envahi une partie considérable, et qu’il s’agissait pour nous de perdre définitivement ou de récupérer peut-être des provinces qui faisaient partie de notre chair. La situation n’était pas la même pour la Russie en Extrême-Orient. Elle pouvait faire des sacrifices, c’est-à-dire renoncer à quelques avantages récemment acquis. Elle restait intacte dans l’immensité de son territoire. Ce n’est pas la perte de la moitié de Sakhaline qui la diminuera sensiblement.

La Russie a obtenu gain de cause sur la question de l’indemnité, et nous l’en félicitons sincèrement. Mais, s’il faut l’avouer, nous n’aurions pas compris que les négociations fussent rompues à ce sujet, comme elles ont failli l’être. Que la Russie se soit refusée à payer une indemnité, ou qu’elle en ait débattu le chiffre avec une énergique ténacité au nom d’intérêts matériels assurément très respectables, soit : mais qu’elle ait introduit là une question d’honneur, c’est ce qui nous a étonné. En vérité, l’honneur n’avait rien à y faire. Il y avait, dans les premières revendications japonaises, des clauses dont on pouvait dire qu’elles portaient atteinte à l’honneur moscovite, aussi le Japon y a-t-il renoncé : ce sont celles qui se rapportaient à la limitation des forces maritimes russes en Extrême-Orient et à la cession des navires de guerre qui s’étaient réfugiés dans des ports neutres et y avaient été désarmés. Cette dernière clause, en particulier, semblait d’autant plus vexatoire qu’elle était, croyons-nous, sans