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parisien, Covey pour sa bonne amie, est une espèce d’Hercule. Avec sa petite tête ronde posée sur d’énormes épaules, ses bras musclés, « sa figure de combat, » il réalise le type du flâneur de profession qui fait un peu de tout, sans exception ni scrupule, et le plus souvent ne fait rien. Il est évidemment moins avisé que ses pareils de chez nous ; capable au besoin d’alléger de ce qu’elle contient la poche d’un ivrogne, il n’exploiterait pas une femme et ne battrait pas un enfant. Ses coups libéralement distribués sont pour d’aussi forts que lui.

Voici les deux amis logés porte à porte sur le même palier, et Covey apprend au nouveau venu, un richard à ses yeux, puisqu’il gagne 18 shillings la semaine, comment dans John Street doit être distribué un tel budget : loyer 2 shillings, 2 fr. 50 ; charbon et chandelle 6 pence, 12 sous ; blanchissage et service, confiés à une voisine, 2 shillings ; nourriture, 1 shilling 6 pence par jour ; dépenses diverses : allumettes, fagot, savon, journal, omnibus, etc., 1 shilling et 6 pence. Il en reste autant pour faire la fête le samedi soir et le salaire se trouve dépensé tout entier. Covey n’a rien gardé pour la toilette : « Les habits, dit-il, ça vous arrive toujours on ne sait comment. Je n’en ai jamais manqué tout à fait et je n’ai jamais eu le moyen d’en acheter. Ça se gagne aux courses ou autrement. Faut pas se tourmenter de tant de choses. Si vous êtes malade, il y a l’hôpital, et quant à la vieillesse, ceux qui font de vieux os sont rares. N’ayez pas peur : courte et bonne ! » Pour mener la vie courte et bonne, Covey se contente de douze sous par jour, ce qui suffit à lui procurer du café, un morceau de pain et quelques débris indéfinissables qui, à la porte des boucheries populaires, se vendent sous le nom d’ornemens.

Son insouciance est peut-être une première explication de la misère à Londres. Covey trouverait mean, absolument vil et méprisable d’économiser, même s’il le pouvait. En cas de chômage absolu, il n’a d’autre ressource que de mettre son unique vêtement en gage, ce qui ne l’empêche pas d’être toujours disposé à prêter aux camarades, pourvu que l’emprunt ne soit pas de plus de 6 pence et qu’à partir du second jour, on lui rende par acomptes.

Il faut être à la fabrique dès sept heures ; à huit, la foule des ouvriers sort pour être absorbée par les innombrables et dégoûtans petits cafés qui attendent leur proie ; là, des bancs de bois,