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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/341

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de la fabrique ; les clubs dont la parfaite organisation et le service irréprochable ne laissent, aux plus difficiles, ni le temps ni l’occasion de rien désirer, lui rappellent la pinte d’ale lampée après que Covey en a soufflé la mousse, et devant les religions de salon qui sont devenues le pieux divertissement de la haute société anglaise, il pense avec une certaine indulgence aux missions bruyantes de John Street. Étaient-elles plus ridicules que les méditations hypnotiques auxquelles s’exercent certaines belles dames sous la conduite d’un brahmane exporté à grands frais des bords du Gange, séances préparatoires au Nirvana que termine le thé de cinq heures ? Ou encore que les moyens de régénération appliqués aux slums par une autre chercheuse, comme elles s’intitulent, qui veut apprendre au bas peuple ce que l’Allemagne pense de la Cosmogonie mosaïque ? Le but déclaré de ces missionnaires de salon est d’obtenir une réponse nouvelle à des besoins nouveaux, de donner de nouveaux cieux à une terre renouvelée ; mais l’Evangile de fantaisie qu’ils se font à eux-mêmes n’aidera personne à trouver le bon chemin.

« Ce qu’il faudrait avant tout, nous dit hardiment M. Whiteing, ce serait d’abdiquer l’hérésie monstrueuse du culte de soi, de l’absorption en soi ; ce serait de faire de la fraternité autre chose qu’une utopie politique, ce serait de donner à la démocratie moderne qui s’impose son vrai sens, un sens religieux. »

Comme on comprend en effet la fortune d’un livre tel que Robert Elsmere arrivant à son heure et jetant, il y a déjà une quinzaine d’années, les germes d’une nouvelle réforme qui répondait aux aspirations des cœurs haut placés !

Depuis lors, dans la ville où John Street existe toujours, hélas ! mais à de moins nombreux exemplaires qu’autrefois, on marche de tâtonnemens en tâtonnemens, mais on marche enfin, vers ce que M. Whiteing appelle la grande Renaissance morale, la nouvelle science de l’esprit et du cœur.

Voilà l’effet d’un roman. Dira-t-on quand même que la littérature de fiction doit être purement subjective, se borner à l’analyse subtile et complaisante de sensations personnelles ? Tout en reconnaissant que l’Art a le droit de n’être que de l’Art et de régner par la seule beauté, honorons cette autre forme d’art qui se donne pour mission d’envelopper d’intérêt et de vie la propagande du bien, d’orienter les âmes vers des voies nouvelles, celles de la fraternité et de la justice sociale.