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régime démocratique, il invoquait l’action morale de l’école. L’instituteur, expliquait-il, doit remontrer aux jeunes gens « qu’il leur faudrait savoir infiniment plus pour être aptes à tout critiquer, il doit leur donner de la patrie une idée saine et leur en inspirer l’amour, afin de les habituer aux exigences sociales et de les préparer à la défense des intérêts communs, même au prix de la vie. » — « Guerre à la guerre ! » ripostent les instituteurs de Lille ; ils concertent un enseignement pacifiste, collaborent avec notre universel désir de paix, et dégagent avec une netteté systématique les conséquences antimilitaristes de certaines maximes démocratiques. En ce qu’il a d’exact et de fondé, cet enseignement est au moins inutile ; en ce qu’il a d’utopique, il est nuisible et peut devenir néfaste. Mais ce qui, dans les circonstances présentes, serait, au contraire, avantageux pour la France, ce serait d’enseigner aux petits Français l’esprit de sacrifice personnel qu’implique le métier de soldat, l’accord possible, — possible parce que nécessaire, — entre l’idée de liberté civique et le respect de la discipline militaire, et l’héroïque devoir qui parfois s’impose de servir le pays, non par l’activité de notre vie, mais par le risque de notre mort.

L’orateur lillois qui aurait hasardé ces vieux mots eût sans doute été fraîchement accueilli : je ne sais quel respect humain, la crainte d’être réputé clérical, nationaliste ou chauvin, aurait retenu les applaudissemens des congressistes les plus patriotes. Et puis, rentrés chez eux, soustraits à l’influence nuisible de l’esprit de club et de l’excitation mutuelle, fatigués peut-être, à certains jours, d’introduire dans l’esprit des écoliers des formules d’un pacifisme creux, nos instituteurs, j’en ai confiance, auraient fini par envier la virile besogne qu’accomplissaient leurs devanciers et par aspirer, eux aussi, à donner avec toute leur âme, aux enfans qui leur sont confiés, des leçons de vaillance et d’immolation. A l’issue du congrès de Lille, M. Gasquet a fait preuve d’un optimisme flatteur, en niant qu’il y eût une crise du patriotisme à l’école ; et sans doute fut-il heureux de pouvoir redire à son ministre que, malgré les fermens d’agitation qui troublaient le congrès, l’assemblée s’était close sans un de ces scandales trop notoires dont la « réaction » eût pu triompher. Pourquoi donc la « réaction » regardait-elle, et pourquoi donc écoutait-elle ? Ah ! si l’on eût osé, le beau discours qu’on eût pu faire entendre, discours provocateur, peut-être, pour