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quand même, pour leur bonne résolution : nous sommes heureux que la France, pour repousser les brutalités agressives, puisse compter sur les hommes par qui elle fait élever ses enfans. Mais ils nous permettront de préférer la vieille formule d’après laquelle le bras du Français devait s’armer à tout appel de la France : elle était plus simple, plus décisive ; elle marquait un abandon plus confiant ; elle assurait à la bonne mère patrie, dans l’urgence des heures critiques, le concours immédiat de tous ses fils, et ne les appelait point à envisager, avec une subtilité byzantine, le caractère offensif ou défensif du branle-bas militaire dans lequel le pays engageait sa fortune.

Non contens de donner à leur affirmation patriotique une précision restrictive et limitative, les congressistes de Lille l’ont fait précéder d’une sorte de clameur pacifiste. M. Devinat croyait les contenter en les invitant à se déclarer « profondément amis de la paix : » l’expression leur parut trop pâle. Ils ont voulu faire savoir au monde qu’ils ont désormais une devise, et que cette devise est : Guerre à la guerre ! En admettant qu’elle ait un sens, elle nous fait au moins l’effet d’une superfluité.

Pour vaincre les « ultramontains » en 1876, pour vaincre le boulangisme en 1889, les gauches agitaient l’épouvantail de la guerre ; les droites, de leur côté, en 1881, brandissaient contre le gambettisme cette formule : « Gambetta, c’est la guerre ! » Ainsi l’empressement unanime avec lequel, dans les campagnes électorales, on exploite ce genre d’argument, témoigne que le peuple français est réellement et sincèrement pacifique. Par surcroît, entre les mœurs démocratiques et le militarisme, entre les habitudes d’autonomie et les exigences de la discipline, entre la manie de discussion et la passivité de la caserne, certains heurts pénibles et douloureux peuvent fréquemment survenir. Si telle est la situation, il nous semble que l’éducation de l’esprit pacifique est au moins oiseuse, et que les progrès mêmes de l’idée démocratique rendent nécessaire, par une sorte de contrepoids, l’éducation de l’esprit militaire, et, si nous osons ainsi dire, un certain aiguillage des consciences qui les prépare à discerner et à affronter les obligations les plus variées de la vie nationale.

M. Sully Prudhomme parlait ici même, il y a sept ans, de ces recrues indociles qui troublent nos casernes ; et contre un tel péril, contre cette « abolition du respect, » contre cette « méfiance funeste de toute supériorité, » qui sont les excès du