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dont il est une des parures, et qui désormais devrait être intangible : le château et les Trianons, leurs jardins et leurs œuvres d’art innombrables, et aussi ces longues allées du grand parc, aux arbres centenaires, qui s’étendent au loin, qui conduisent aux forêts voisines, et qui ne sont pas le moindre attrait du décor où s’encadrait la résidence de la monarchie.

De tout temps, l’impression de magnificence et, comme disait Mme de Sévigné, « de royale beauté unique dans le monde, » qui se dégage de ce cadre superbe, fut très vive, et ceux-là mêmes n’y échappèrent pas tout à fait qui, pour des raisons diverses, critiquèrent le plus durement l’œuvre du Grand. Roi.

Après avoir, en des déclamations renouvelées de Rousseau, et quelque peu de Fénelon[1], évoqué « la voix douloureuse qui sort de ces murs, comme s’ils étaient l’écho où viennent se répercuter les soupirs des peuples, » le sauvage de la Nouvelle-France, qu’avait transporté, des bords de l’Ohio à Versailles, l’imagination du chantre de René, ne pouvait se refuser à admirer « la façade entière du palais, semblable à une immense ville ; ces cent degrés de marbre blanc conduisant à des bocages d’orangers ; ces eaux jaillissantes au milieu des statues et des parterres ; ces grottes, séjour des esprits célestes ; ces bois où les premiers héros, les esprits les plus divins erraient en méditant les triples merveilles de la guerre, de l’amour et du génie… » Et, comme conclusion, c’était à la vue de ces merveilles que l’exotique et emphatique personnage « commençait à entrevoir une grande nation où il n’avait aperçu que des esclaves » et, nous dit Chateaubriand, « il rougit de sa superbe. »

Aujourd’hui comme alors, malgré la différence des temps, — et tout récemment on en eut d’illustres témoignages, lors de plusieurs visites souveraines, — l’impression ressentie, à la vue de Versailles, par l’étranger qui y vient pour la première fois, ne diffère pas beaucoup de celle qu’a traduite l’auteur des Natchez ; il s’y ajoute bientôt cette sensation de mélancolique apaisement, qu’exprimait André Chénier en des vers immortels[2], et qui, naguère encore, faisait dire à un homme longtemps

  1. « A force de vouloir paraître grand, vous avez pensé ruiner votre véritable grandeur » (Télémaque, livre V.)
  2. Souvenir assez curieux, — le plus célèbre des bourreaux, « barbouilleurs de lois, » stigmatisés par l’illustre poète, Robespierre, partageait pour Versailles cette sympathie de Chénier. Dans une lettre où il refusait le siège de magistrat, qui lui avait été offert par le vote des Versaillais, Robespierre écrivait, le 13 juin 1791 : « Je regrette mon refus, car Versailles m’offrait une retraite paisible où j’aurais trouvé tous les avantages qui pouvaient flatter mon goût et ma sensibilité. »