Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je sais qu’il est fort difficile de définir exactement en quoi consiste la « poésie » dans les arts plastiques. Mais c’est chose incontestable qu’elle peut y exister, et qu’il y a eu des « poètes » et des « prosateurs » dans la peinture comme dans la musique, et comme dans les genres Littéraires où l’on écrit en prose. Rembrandt et Ruysdaël, par exemple, sont certainement des poètes, et les seuls poètes de la peinture hollandaise, bien qu’ils aient traité les mêmes sujets que les Franz Hals ou les Hobbema. Mozart et Joseph Haydn ont employé la même langue musicale, dans des formes pareilles : et personne, je crois, ne pourra nier que la différence entre eux tienne surtout à ce que Mozart est, au contraire de Haydn, un « poète. » Pareillement, en peinture, on semble dès maintenant s’accorder à reconnaître que les vieux Siennois ont été des « poètes ; » ils l’ont été à des degrés divers, suivant la diversité de leur inspiration et de leur talent : mais tous, depuis les Memmi jusqu’à Sodoma, — car ce Piémontais a été vraiment le dernier interprète de l’âme artistique de Sienne, — tous ont en commun un certain charme que nous ressentons sans parvenir à l’expliquer, et que nous sommes invinciblement tentés d’appeler « poétique. » Ou plutôt, ce charme, s’il est difficile à expliquer, n’est pas inexplicable. Un « poète, » dans tous les arts, est un homme qui, au contact de la réalité, éprouve naturellement des sensations ou des émotions plus « belles » que l’ordinaire des hommes, et dont l’âme possède ainsi, d’instinct, le don d’embellir pour nous la réalité. Un Corrège ou un Raphaël voient dans la figure humaine une beauté de lignes, de lumière, ou d’expression, que nos yeux plus prosaïques n’y aperçoivent point : et c’est cette beauté que la plupart des artistes de Florence, sculpteurs et peintres, n’ont pas voulu ou n’ont pas su découvrir, durant les deux premiers siècles de leur glorieuse histoire. Merveilleusement doués pour l’observation et le calcul, maîtres incomparables de l’anatomie et de la perspective, leur bon sens de bourgeois, encouragé par le goût tout positif d’une race de boutiquiers, s’est toujours trop attaché à l’aspect matériel et habituel des choses pour leur laisser le moyen, ou même le désir, de chercher sous cet aspect extérieur une réalité plus profonde. Leur art est souvent d’une force et d’une vérité merveilleuses : mais il est en « prose, » il ne nous offre jamais le délice mystérieux que gardent pour nous les inventions les plus naïves d’un maître de Vérone, ou de Pérouse, ou de Sienne. Aucune place n’y est faite au rêve ; l’émotion, souvent très forte, n’y est jamais proprement touchante ; et il n’y a pas jusqu’à la piété qui, chez les plus pieux, n’échoue à s’exprimer religieusement.