Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servi, tout à l’heure, l’admirable Giotto pour nous attendrir sur la mort de saint François d’Assise, ou pour proclamer l’ascension triomphale de l’évangéliste saint Jean.


C’est que l’aventure est arrivée à Giotto qui devait arriver plus, tard à Raphaêl, à Mozart, qui arrive fatalement à tous les grands poètes. In cujus pulchritudinem ignorantes non intelligunt : leurs successeurs ne les ont pas compris, et, naïvement, se sont astreints à imiter leurs gestes ou le son de leur voix. Ainsi les Gaddi et toute l’école des Giottesques, pendant plus d’un siècle, ont continué d’employer à leur prose la langue poétique de leur maître, sans se rendre compte qu’il se l’était faite pour son usage propre, en vue d’une fin que personne que lui ne pouvait atteindre. Seul Andréa Orcagna, dans son Paradis de Sainte-Marie-Nouvelle, a essayé de chanter, comme avait fait Giotto : lui seul a su garder en soi un vivant écho de l’âme du poète. Les autres n’ont retenu de lui que son dédain du paysage, l’arrangement arbitraire de ses fonds architecturaux, toute sorte de procédés qui convenaient le mieux du monde à l’art symbolique et musical qu’il avait conçu, mais qui, désormais, ne pouvaient plus que les gêner, dans leur représentation réaliste de menus épisodes de leur vie bourgeoise : jusqu’au jour où l’un d’eux, le petit Masaccio, plus intelligent et plus adroit de ses mains, s’est enfin décidé à secouer l’encombrant bagage des traditions poétiques de Giotto, et, du même coup, a achevé d’ « humaniser » et de « laïciser » la peinture florentine de la Renaissance.


T. DE WYZEWA.