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disait : « — Croyez-moi, j’ai fait tout ce que j’ai pu, mais quant à vous laisser une partie de l’Alsace, c’est impossible.

« — Je signe à l’instant même, ai-je repris, si vous me concédez Belfort. Sinon, rien, rien que les dernières extrémités, quelles qu’elles soient.

« Vaincu, épuisé, M. de Bismarck me dit alors :

« — Vous le voulez, je vais faire une tentative auprès du Roi ; mais je ne crois pas qu’elle réussisse.

« Il écrivit aussitôt deux lettres, qu’il fit porter, l’une chez le Roi, l’autre chez M. de Moltke.

« — Je demande Moltke, dit-il, car il faut le mettre avec nous ; sans lui, nous n’obtiendrons rien.

« Une de mi-heure s’écoule. Tous les bruits de pas, dans l’antichambre, nous faisaient battre le cœur. Enfin, la porte s’ouvre. On annonce que le Roi est à la promenade et que M. de Moltke aussi est absent de chez lui. Le Roi ne rentrera qu’à quatre heures ; M. de Moltke, on ne sait quand. Nous nous décidons à attendre, car partir sans avoir résolu la question, ce serait la perdre.

« M. de Bismarck nous quitte pour aller dîner, et nous passons une heure, M. Jules Favre et moi, dans une anxiété inexprimable. M. de Bismarck reparaît. Le Roi est rentré, mais ne veut rien décider sans avoir vu M. de Moltke. M. de Moltke arrive. M. de Bismarck nous quitte pour aller l’entretenir. Nous attendons. L’entretien nous paraît long. M. de Bismarck rentre, le visage satisfait :

« — Moltke est des nôtres, nous dit-il, il va convertir le Roi.

« Nouvelle attente de trois quarts d’heure. On rappelle M. de Bismarck, qui va s’informer de ce que rapporte M. de Moltke. Après un entretien assez long avec lui, il revient enfin et, la main sur la clé de la porte, il nous dit :

« — J’ai une alternative à vous proposer. Que préférez-vous : Belfort ou la renonciation à notre entrée dans Paris ?

« Je n’hésite pas, et jetant un regard sur M. Jules Favre qui devine mon sentiment et le partage :

« — Belfort, Belfort ! m’écriai-je.

« L’entrée des Allemands dans Paris devait être une souffrance pour notre orgueil, un danger pour nous, gouvernans ; mais la patrie avant tout.

« M. de Bismarck va rejoindre M. de Moltke et nous apporte