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entre une cour à murs blancs et un assez vaste jardin. Là, sous les tilleuls dont l’allée aboutissait à une terrasse ayant vue sur la mer, se passèrent les jeunes années de celui qui devait écrire Dominique ; là se forma cette mémoire spéciale « assez peu sensible aux faits, mais d’une aptitude singulière à se pénétrer des impressions. »

« Après une enfance très ouverte, très gaie, presque bruyante, confie-t-il en 1843 à un de ses amis, j’ai eu, par l’effet des circonstances que vous connaissez, une jeunesse extrêmement taciturne. J’avais pris involontairement l’habitude de la réserve et du silence… » C’est vers 1837, — il n’avait pas encore dix-sept ans, — que, sous l’action d’une de ces tendresses naïves réservées aux adolescences d’élite, le jeune homme s’enfonça dans une vie intérieure d’où sortira le meilleur de son talent de peintre et d’écrivain.

Madeleine, — pour lui conserver le nom qu’elle porte dans le roman de Dominique, — était de quatre ans plus âgée qu’Eugène. Ils avaient joué ensemble tout enfans, et se voyaient presque tous les jours. L’adolescent s’éprit insensiblement de cette jolie jeune fille dont l’indolence créole alanguissait les coquetteries juvéniles. Elle allait se marier, devenir mère de famille, sans que cette passion ardente et pure, dont l’encens brûlait à ses pieds, s’éteignît dans un cœur douloureusement consumé.

Pour l’y étouffer, autant que pour préparer son fils à la magistrature, le docteur Fromentin décida, à la fin de 1839, d’envoyer le jeune homme à Paris. Il venait de terminer au lycée de La Rochelle de brillantes études. Sa facilité à dessiner, ses dons poétiques affirmés en d’innombrables vers, les ardeurs sans objet précis qui bouillonnaient en lui, l’inclinaient tantôt à écrire, tantôt à peindre. Il se sentait avant tout littérateur et artiste. Ce lui fut un déchirement de se déraciner du sol natal encore fleuri de ses plus intimes émotions, et d’aborder ces études juridiques dont la rigueur le rebutait. Mais il y eut là un dérivatif nécessaire. Eugène se mit courageusement au travail. Il sut, tout en préparant sa licence en droit, qu’il achèvera en 1843, cultiver les lettres, fréquenter les musées et se répandre autour de Paris en courses fécondes pour la connaissance de la nature.

En même temps que l’intelligence commençait d’orienter vers l’art toutes ses forces inemployées, Eugène adoucissait son exil parisien par de chaudes amitiés.