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les lettres grecques, lui fit lire les poèmes d’Homère et d’Hésiode, et les lui expliqua. Mais il ne la conduisit pas jusqu’à la philosophie dont il devait emplir plus tard l’esprit de son fils.

Lorsque celui-ci fut en âge d’être instruit, on le mit à son tour dans les mains de Mardonius : l’image de la jeune mère qu’il n’avait pas connue dut passer souvent entre lui et son maître ; de cette disparue lui vinrent ses premiers enseignemens et ses premières leçons ; quant à son père, Julien paraît en avoir gardé un souvenir assez confus. Jules-Constance, occupé pour la première fois des affaires publiques, consacrait sans doute peu de temps à l’enfant élevé au fond de son palais. Du reste, Julien avait six ans lors de l’horrible tragédie dans laquelle périrent tous les siens, et qui exerça une influence si capitale sur sa destinée et sur sa nature morale.

On sait le partage que Constantin fit de l’Empire entre ses trois fils, et comment le second d’entre eux, Constance, resté seul maître de l’Orient, et craignant quelques compétitions de la part des princes ses proches, les fit tous assassiner le jour même des funérailles de son père. Des membres de la famille impériale présens à Constantinople, il ne resta que Gallus et Julien, sauvés sans doute par leur grande jeunesse. Encore saint Grégoire de Nazianze affirme-t-il qu’ils devaient être enveloppés dans le massacre, mais qu’ils furent enlevés secrètement par des hommes dévoués, entre lesquels il cite Marc, évêque d’Aréthuse.

Tout ce drame, que M. Allard conte avec détail et en tâchant de l’éclairer, reste obscur malgré ses efforts. Ce qui est certain, c’est le retentissement immense qu’il eut sur l’âme de Julien. Le malheur de l’enfant a été revécu par l’adolescent et par l’homme fait ; son être intime en a été modifié dans ses profondeurs. De là, et de l’éducation qui suivit, éducation sèche et sans affection, faite exclusivement par des hommes, et par des hommes dévoués au souverain régnant, qu’il devait par conséquent craindre et haïr, est venu ce qu’il y eut d’incomplet, de faussé, pour ainsi dire, dans sa nature, son amertume, ses soupçons, l’absence d’abandon et d’épanouissement qui le caractérisera toujours. Pour se l’expliquer plus tard, il faudra se rappeler qu’il a commencé la vie par la crainte et par la haine. « Il n’y avait pas, dit-il, une âme qui fût sympathique à l’enfant proscrit de la maison de ses parens. »