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avait tout à apprendre, la politique, l’administration, la guerre. Son habitude de la vie passive, ses goûts de rêveur et de lettré, son passé d’étudiant encore si proche, le rendaient déplacé à la tête d’un État, comme quelques mois plus tôt, ses cheveux négligés, sa barbe de philosophe, l’avaient rendu presque ridicule aux yeux des courtisans de Constance. Il se plia avec une étonnante souplesse aux nécessités de sa situation nouvelle. Dès avant son départ d’Italie, la transformation physique était complète, et glabre, rasé, le bandeau au front, revêtu de la chlamyde militaire, il répondait assez bien au type classique du César. Pour ce qui est du gouvernement et de la défense du pays, son application, le grand sérieux qu’il apporta à sa tâche, suffirent à tout. Les souvenirs laissés en Gaule par Constance Chlore, Constantin et Constant l’avaient rendu populaire dès son arrivée. Mais sa bonne volonté était à la fois habile et touchante. Il voulut étudier l’un après l’autre tous les exercices militaires, même ceux qu’on faisait exécuter aux soldats romains pour les assouplir en suivant la cadence d’une flûte. « Oh ! Platon ! Platon ! » s’écriait-il alors, en souriant et en soupirant, à la fois. Mais le disciple de Platon était résolu à faire son devoir ; il se proposait l’exemple de Marc-Aurèle, qui sut travailler sans relâche à son perfectionnement moral tout en gouvernant son Empire, et en guerroyant contre les Barbares. Il dut d’ailleurs sentir s’éveiller en lui l’instinct militaire que Marc-Aurèle n’eut jamais. » On vit bientôt les effets de ce don mis au service d’une telle conscience, et le résultat des efforts de Julien durant ces cinq années d’activité mêlée de méditation. Il recouvra la frontière de l’Est de la Gaule, de la Suisse à la Batavie, chassa les Francs de la Belgique, et rendit à la navigation romaine toute la partie du Rhin de Mayence à la mer, qui était tombée entre les mains des Barbares. Parlant ensuite de ses guerres dans l’épître au Sénat et au peuple d’Athènes où il s’est tant raconté lui-même, il pourra écrire fièrement : « J’ai traversé trois fois le Rhin, et j’ai ramené d’au-delà de ce fleuve 20 000 prisonniers repris sur les Barbares. Deux batailles et un siège m’ont mis en possession de mille hommes capables de servir et à la fleur de l’âge. J’ai envoyé à Constance quatre cohortes d’excellens fantassins, trois autres plus [ordinaires, et deux superbes escadrons de cavalerie. Je suis maître en ce moment, grâce aux dieux, de toutes les villes, et j’en pris alors plus de quarante. » Son