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Cependant Julien avait grandi en Gaule ; le jeune homme dépendant et soumis qu’on faisait venir d’un signe d’Antioche en Italie, et d’Athènes à Milan, s’était transformé en un lieutenant avec lequel il fallait compter. Constance avait eu plusieurs fois des réveils de soupçons et de jalousie, et l’avait irrité en rappelant des conseillers qui lui étaient chers. Attaqué en 360, par Sapor, roi de Perse, il demanda à Julien des légions ; ce fut le signal d’une révolte militaire à peu près inévitable, puisque c’était désormais une habitude et comme un privilège des soldats romains, de mettre la couronne impériale sur la tête de leurs généraux victorieux. Julien, proclamé Auguste par la foule ameutée autour de son palais de Paris, se défendit quelque temps. Puis il se résigna à la fortune. Ses propres songes, les présages, les augures qu’il continuait de consulter en secret, — il avait fait venir près de lui à Paris l’hiérophante d’Eleusis, — lui étaient favorables. Quelques mois se passèrent en négociations avec Constance dont il espérait obtenir l’acceptation des faits accomplis, avec le partage du pouvoir : le dilemme fameux « être empereur, ou ne l’être pas » s’agitait pendant ce temps dans cette imagination ardente et dans ce cœur fermé : « Il tremblait, dit Ammien Marcellin, à la pensée des suites que la révolution récente pourrait avoir ; il vivait dans les transes ; il ne cessait de rouler dans son esprit les motifs qui lui faisaient croire que jamais Constance ne consacrerait son élévation. » Il fallait pourtant s’arrêter à un parti, et le souvenir de Gallus, qu’avait perdu l’inertie après la trahison, détermina Julien à prendre franchement et énergiquement l’initiative de l’attaque. M. Allard, lorsqu’il s’agit des choses de la guerre, décline modestement toute compétence. Mais il a sans doute en lui un peu de cet instinct militaire qu’il se plaît à reconnaître chez son héros, car il conte avec autant de clarté que de chaleur et d’imagination « l’une des expéditions les plus extraordinaires dont les annales de la guerre aient gardé le souvenir, l’aigle volant de clocher en clocher, ou du moins de ville en ville, à travers la partie centrale, la plus peuplée et la mieux fortifiée de l’empire romain, et conduisant en six mois Julien et sa petite armée des Alpes à Constantinople. »

Nous ne le suivrons pas dans le récit de cette aventureuse promenade militaire. Qui eût triomphé, de Constance, enfin délivré de Sapor, ou de Julien, qui avait fortifié ses troupes dans les