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l’Unité par l’impossibilité de faire coexister tant d’actions diverses. Rien de plus éloigné de la netteté et de la simplicité de l’anthropomorphisme grec que ces flottantes individualités, objets d’une continuelle analyse, et qui, par les moyens les plus divers, rentrent soit dans la partie spiritualiste, soit dans la partie naturaliste d’un même système. « Entre les dieux de l’hellénisme aux contours si arrêtés et si élégans, entre ces dieux, qui semblent le type d’une humanité supérieure revêtue d’une forme parfaite, et les êtres sans limite, sans forme et sans sexe qui se meuvent comme des nébuleuses dans les trois mondes de Julien, il n’y a pas de commune mesure ; ce syncrétisme fond peu à peu tous les dieux en rendant leurs formes plus effacées, plus fluides, plus aptes à rentrer les unes dans les autres, jusqu’à ce que finalement elles aillent s’absorber dans la divinité solaire. » Et par une conséquence naturelle, en même temps que s’évaporent les êtres, s’évapore l’histoire ; la fable formée au cours des siècles autour des dieux personnels par l’ingénieuse imagination des poètes se fluidifie elle aussi, se décharge de ses apparences, et se résout en explications métaphysiques, parfois même en données scientifiques. Comme les dieux ne sont qu’une représentation de l’Un, de même chaque récit de la mythologie grecque est une sorte de symbole, et renferme un sens caché. Jamblique, le premier, avait essayé la conciliation de la fable traditionnelle et de la spéculation néo-platonicienne, et donné, en sollicitant et en pressant les textes des poètes, l’essor à toute une apologétique païenne. Julien se jouait avec délices dans ces interprétations, il y trouvait pour ses exercices de rhéteur des ressources infinies ; son goût d’intellectualité lui faisait en même temps rechercher les interprétations les plus subtiles ; rien n’égale l’intrépidité de cet homme si sérieux, qui ne riait pas, qui ne craignait pas le ridicule, et qui voyait divinisées toutes ses inventions : un jour il découvrit que la castration des prêtres d’Attis était le symbole de la limitation de l’infini. Lorsqu’il eut écrit son Discours sur le roi Soleil, il ne craignit pas de le dédier au Sénat romain. On ignore comment la lecture, faite probablement dans une grande solennité, en fut accueillie par cette assemblée encore souveraine : elle rencontra sans doute une admiration respectueuse et convenue ; mais rien au fond n’était moins romain que le langage et les théories de Julien ; les dieux de Rome, fils de ceux de la Grèce, s’étaient, s’il est