Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/651

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

possible, précisés et individualisés davantage dans leur nouvelle patrie ; moins libres et moins fantaisistes, ils étaient devenus d’austères personnages, protecteurs de la cité et gardiens des mœurs ; si l’on en excepte certaines divinités orientales adorées dans le bas peuple et dans quelques cercles corrompus de Rome, on peut dire que c’étaient des sénateurs et des matrones de l’ordre idéal. Le Dieu Soleil, les mirages qui le faisaient passer du monde spirituel au monde sensible, toute cette fantasmagorie théologique aussi brillante que confuse, ne devait rencontrer qu’indifférence dans un milieu où l’énormité des intérêts et la grandeur des événemens satisfaisaient pleinement les imaginations.

Ces païens aux vues droites et au caractère solide sentirent sans doute alors qu’il n’y avait aucune parenté entre eux et leur empereur. Malgré l’apparente communion religieuse, ils ne songèrent pas à sortir de l’action politique et administrative où, durant le règne de Constantin et de ses fils, ils s’étaient confinés, et à aider de leur prosélytisme la restauration païenne. Julien y travailla seul, l’histoire de son court règne est une histoire orientale ; les espérances et les haines qu’il souleva, le commencement d’exécution qu’il donna à son œuvre, les résistances chrétiennes, tout cela fut divergences et combats de Grecs et d’Asiatiques : « Julien n’aperçut jamais le point d’appui que l’Occident, et en particulier l’aristocratie romaine, pourrait lui offrir. Lâchant la proie pour l’ombre, il se tourna vers le monde grec. Mais le monde grec, dans lequel il s’obstinait à voir une réalité, ne vivait plus que de souvenirs. Athènes, devenue une ville de professeurs et d’étudians, un centre universitaire, avait perdu toute influence politique. Corinthe montrait à peine quelques restes effacés de son ancienne splendeur. Lacédémone n’était qu’une bourgade historique… Cependant Julien, négligeant les pays dont la sympathie eût été pour lui une force, semble préoccupé avant tout de faire approuver sa conduite par des cités mortes dont ses yeux de rêveur ébloui de la glorieuse auréole du passé refusent de reconnaître le présent misérable. »

Et même nous l’avons vu, le lien qui le rattache à l’hellénisme devient de plus en plus volontaire et factice ; c’est le lien qu’a créé l’éducation, et qui restera toujours apparent malgré les modifications de fond : « Tu es Grec, et tu commandes à des Grecs, » lui écrit Libanius. En réalité, il y a entre lui et le clair idéal grec