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étaient sans affection. Julien entreprend de corriger ce vice de l’hellénisme, et de faire de ses prêtres, sur le terrain de la charité, les rivaux des prêtres chrétiens. Dans une de ses lettres, il recommande au grand prêtre de Galatie d’habituer les Hellènes aux actes de bienfaisance. Il voudrait encore instituer dans l’Église païenne une sorte de discipline pénitentielle qui ressemblât à la direction et à la confession, et, en même temps que ces courans d’assistance et de sympathie s’établiraient entre les vivans, organiser le grand concert harmonieux et fraternel qui dans le christianisme unit l’Église militante à l’Église souffrante et à l’Église triomphante ; inspirer enfin à l’hellénisme, religion de la beauté et apothéose de la vie, le culte de la souffrance et de la mort. C’était lui demander beaucoup plus, et surtout tout autre chose que ce qu’il pouvait donner, et, dans un effort si nouveau, on eût vite aperçu l’insuffisance des hommes et la disconvenance de la doctrine. Les explications et les conseils se seraient évaporés en théories nuageuses comme le discours sur le roi Soleil et celui sur la mère des Dieux, et les prêtres helléniques, habitués à une vie facile de fonctionnaires honorés, se seraient mal plies à leur nouveau rôle de bienfaiteurs, de missionnaires et d’apôtres. L’Église de Julien fut un projet, presque un rêve, le lieu idéal où il logeait à la fois son système de théologie néo-platonicienne et la religion ancestrale avec laquelle il l’avait marié selon les enseignemens de Celse, de Hiéroclès, de Porphyre et de Jamblique, celui aussi peut-être où il se reposait par l’espoir d’une société meilleure de ses mauvaises fréquentations forcées : « Julien, qui avait abandonné l’église pour le temple, essayait de transporter de l’église dans le temple la chaire et le prédicateur, la doctrine et la morale. Cette tentative, qui eût été irréalisable cent ans plus tôt, lui semblait possible maintenant, puisqu’il dépendait de lui de donner les sacerdoces non comme autrefois à des nobles et à des politiques, mais à ses amis les néo-platoniciens dont le conciliant éclectisme essayait de faire de la mythologie une théologie en épurant par des commentaires allégoriques ce que la fable offrait de bas, d’absurde et de licencieux. Tirer de ce chaos un dogme, une éthique et les faire goûter au peuple, voilà ce que le novateur attendait maintenant du clergé qu’il venait d’instituer, voilà l’œuvre colossale qu’il lui demandait de faire sans délai, d’improviser pour ainsi dire sous ses yeux. »