Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les fumées de son esprit. Cet Alexandrin de la seconde période, aux théories chimériques el aux aspirations malsaines, n’a plus aucune communication sympathique avec le monde qu’il gouverne. Flatté par le parti païen dont il a rétabli les affaires, mais qu’il étonne et dont il déroute les idées, il vit dans un isolement profond, séparé de cœur et d’intérêts de ceux qui l’entourent, et n’ayant plus de maîtres et de frères que quelques mages et quelques sophistes d’Ephèse et de Pergame.

Cet isolement toutefois n’était pas encore sensible. Si rêveur qu’il fût, Julien avait l’habitude de l’action, et même jusqu’ici celle du succès dans l’action. Dès les premiers mois de son règne, il tente de reconstituer le paganisme sur de nouvelles bases, et même de fonder ce qui n’existait pas et n’avait jamais existé, une Église païenne. L’édifice, construit tout entier dans sa pensée, s’est à peine élevé au-dessus du sol ; les quelques pierres qu’il a hâtivement posées ne nous montrent pour ainsi dire qu’un dessin général ; tel qu’il est, nous le devinons curieux et hardi : au sommet du grand corps religieux qu’il essaie d’organiser, il met l’Empereur, le pontifex maximus, en étendant les attributions que ce titre donnait depuis le règne d’Auguste, jusqu’à faire du chef du gouvernement la vraie tête, la volonté directrice de l’Église païenne. Toute une hiérarchie descend de lui : d’abord le prêtre de la province, puis le prêtre de la ville. C’est à peu près, quoique plus homogène et plus serrée, l’ancienne organisation. Mais là où Julien devient original, bien qu’il copie, c’est lorsqu’il essaie d’unifier le culte païen, et d’organiser l’intérieur des temples à l’imitation des églises chrétiennes. Il invente des offices que les prêtres doivent réciter à diverses heures du jour ; il leur donne des hymnes à psalmodier, il introduit dans le temple la musique sacrée.

Il va plus loin. Son imitation du christianisme n’est pas seulement formelle et rituelle, elle porte sur le fond même des choses : il essaie d’établir dans les temples l’usage des discours et des lectures consacrés à l’explication des dogmes helléniques et à des conseils de morale, par conséquent de pénétrer dans les intelligences et de séduire les cœurs. Il sent que sa réforme religieuse ne sera complète que s’il emprunte aussi au christianisme ce qui en fait l’essence et ce qui en a assuré le succès : la miséricorde, la bonté, le soin des pauvres. Saint Paul avait déjà remarqué trois siècles plus tôt que les païens pris en masse