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parce qu’il veut nous embrasser, et il semble nous dire : « Ô vous qui souffrez, venez à moi. » S’il a voulu qu’on lui ouvrît le cœur, c’est pour montrer combien il nous aime. » — Toute la douceur du christianisme primitif respire dans ce passage des Méditations de saint Anselme.

Veut-on voir maintenant ce qu’imagine le XIVe siècle. Ouvrons les Révélations de sainte Brigitte, un de ces livres ardens qui ont laissé une trace profonde. C’est la Vierge elle-même qui parle à la sainte, et qui lui raconte tout ce qu’elle a souffert. Elle a vu mettre son fils en croix, et elle s’est évanouie ; et voici dans quel état elle l’a revu, quand elle est revenue à elle : « Il était couronné d’épines, ses yeux, ses oreilles et sa barbe ruisselaient de sang… Ses mâchoires étaient distendues, sa bouche ouverte, sa langue sanguinolente. Le ventre, ramené en arrière, touchait le dos, comme s’il n’avait plus d’intestins. »

N’est-il pas vrai de dire que le christianisme du XIVe siècle ne ressemble pas à celui du XIIe ?

Une imagination insatiable s’applique à toutes les circonstances de la Passion. Comment Jésus fut-il flagellé ? Tauler y a pensé si souvent qu’il lui semble qu’il a assisté au supplice. Il sait qu’on l’attacha avec tant de force à la colonne que le sang jaillit de l’extrémité de ses ongles. On le frappa d’abord sur le dos, puis on le retourna. Il n’était plus qu’une plaie : « son sang et sa chair s’écoulaient. »

Olivier Maillart nous affirme qu’il reçut cinq mille quatre cent soixante-quinze coups de verges[1]. Jean Quentin, auteur de l’Orologe de dévotion, ajoute que « les verges et les escourges se rompaient sur lui, et que les nœuds restaient fichés dans sa chair. » Sainte Brigitte le vit emmener après la flagellation, et elle remarqua qu’il laissait, en marchant, des traces sanglantes.

À force d’avoir été méditée, la scène du Calvaire acquit, dès le commencement du XVe siècle, une épouvantable précision. — On répétait, après saint Bonaventure, qu’avant de le crucifier, on lui arracha violemment sa robe qui s’était collée à ses plaies. D’un seul coup toutes ses blessures se rouvrirent. Alors, pour la troisième fois, suivant Gerson, on lui mit la couronne d’épines.

  1. Ce nombre était reçu : « Si l’on disait tous les jours, pendant un an, les 15 pater du Rosaire, on aurait le nombre des plaies de Jésus-Christ (5475). » Johannes de Langheym, de Rosario, Moguntiæ, 1495.