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Or, d’après le Speculum passionis, la couronne avait soixante-dix-sept épines, et chaque épine avait trois pointes. Puis, on retendit sur la croix couchée à terre. Les trous étaient faits d’avance, et l’on cloua sans peine la main droite ; mais on ne pouvait amener la main gauche jusqu’à l’autre trou qui était trop éloigné : « Alors, dit l’Orologe de dévotion, ils vous attachèrent des cordes à l’espaule et soubs l’ayselle. Et afin qu’ils purent tyrer plus fort, ils appuyoient leurs pieds à votre croix, et puis tous ensemble tyrèrent si terriblement que toutes les veines et tous les nerfs de vos bras se rompirent. » Une fois les clous enfoncés, les bourreaux hissèrent la croix. Soulevée à force de bras et tirée par des cordes, elle tomba lourdement dans le trou profond qui avait été creusé pour la recevoir. La secousse fut terrible pour le patient. Car, dit Tauler, les clous qui avaient percé ses mains et ses pieds n’avaient pas d’abord fait couler le sang, parce que la peau était entrée dans la blessure et l’avait fermée. Mais, quand la croix s’enfonça en terre, le choc fut si rude que les plaies s’ouvrirent et que le sang jaillit.

La descente de croix offrait d’autres sujets de larmes. Tout sanglant le cadavre fut déposé sur les genoux de la mère. Elle essaya, dit sainte Brigitte, de détendre ce pauvre corps contracté, elle voulut croiser les mains sur la poitrine, leur donner l’attitude familière de la mort, mais les articulations refusèrent de fléchir. Alors elle se jeta sur la face de son fils et le couvrit de baisers. Quand elle releva la tête, son visage était plein de sang. Longtemps elle le tint embrassé sans vouloir se séparer de lui. Elle suppliait qu’on l’ensevelît avec lui. Elle versait tant de larmes que « son âme et sa chair semblaient vouloir se volatiliser en pleurs. »

Voilà quel était le sujet ordinaire des méditations du fidèle au XVe siècle. S’associer à la Passion devint l’acte principal de la piété chrétienne. La messe, que l’on interprétait jadis comme un raccourci de l’histoire de l’humanité, n’est plus envisagée que comme une commémoration du drame du Calvaire. La journée elle-même, avec ses divisions, devient comme une figure mystique de la Passion du Sauveur. Chaque heure qui sonne rappelle au chrétien une souffrance de Jésus-Christ. De petits traités pieux font coïncider les épisodes de la Passion avec les heures du jour.