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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/672

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dépouillé de sa robe. Un vitrail de Maizières (Aube) nous montre entre le portement de croix et la crucifixion une figure semblable. Jean Bellegambe, dans son fameux triptyque de la cathédrale d’Arras, a choisi le même moment de la Passion. Jésus est assis sur un tertre, tel que nous l’avons décrit, et il attend que les bourreaux aient achevé de percer les trous de la croix.

Ainsi, aucun doute n’est possible. La statue du Christ assis, imaginée par les artistes du XVe siècle, ne représente ni un Ecce homo, ni un Christ bafoué dans le prétoire, mais un Christ attendant la mort sur le Calvaire. Je croirais volontiers que cette image de douleur a été inspirée aux artistes par les Mystères. C’est au théâtre, en effet, qu’ils avaient pu voir pendant quelques instans le Christ dépouillé de sa robe, attendant avec résignation que les bourreaux aient préparé sa croix. La diffusion de ce motif nouveau semble concorder avec la plus grande vogue des Mystères. Presque tous les Christs assis sont de la fin du XVe siècle ou du commencement du XVIe siècle. Je n’en connais qu’un seul qui soit daté, c’est celui de Guerbigny. Il a été mis en place conformément aux dernières volontés d’un habitant du village, qui mourut en 1475.

Quelle que puisse être d’ailleurs l’origine de cette figure, on en comprend maintenant toute la signification. Le Christ a déjà été souffleté, couronné d’épines, couvert de crachats, flagellé. Il a porté sa croix sur le chemin du Calvaire. Les bourreaux lui ont brutalement arraché sa robe, qui était devenue comme sa propre chair, puisqu’elle collait à toutes ses plaies. Maintenant, il s’assied épuisé, et il ne lui reste plus qu’à mourir. Par une dérision suprême, et comme s’il était capable de s’enfuir, on lui a lié les pieds et les mains. La tête penchée sur l’épaule, les bras croisés sur la poitrine, il attend ; ce Christ assis résume toute la Passion. Tel qu’il est là, il a épuisé la violence, l’ignominie, la bestialité de l’homme.

Je ne crois pas que l’art ait jamais conçu quelque chose de plus poignant. C’est l’abîme de la douleur, et c’est aussi l’extrême limite de l’art. Le Christ en croix, dont nous parlions tout à l’heure, ce long Christ suspendu au gibet a déjà rendu l’esprit. Ses yeux sont fermés, et le centurion vient de lui donner le coup de lance. Le Christ assis pense et souffre. Il fallait donc exprimer la plus profonde douleur morale qui puisse s’imaginer, unie