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pathétique qui ne pouvait être dépassée. La Vierge se jette avec emportement sur le corps de son fils. En vain saint Jean essaie de la retenir, elle s’attache de toutes ses forces au cadavre et le couvre de baisers. Il semble qu’elle veuille être enfermée avec lui dans le tombeau. Les méditations des mystiques trouvent enfin leur expression dans l’art. Les artistes, d’ailleurs, ne s’inspiraient sans doute directement ni de saint Bonaventure, ni de sainte Brigitte ; ils s’inspiraient du théâtre, où les rêves des mystiques commençaient déjà à prendre corps. Il me paraît évident que c’est le théâtre qui a donné aux artistes l’idée de substituer à la scène de l’onction celle de la mise au tombeau. C’est dans les Mystères, ou dans les tableaux vivans qui précédèrent les Mystères, qu’on vit groupés, pour la première fois, autour du sarcophage ouvert, Joseph d’Arimathie, Nicodème, la Vierge, saint Jean, les saintes femmes, la Madeleine. Le Nouveau Testament est bien loin d’être aussi précis. Il n’est dit nulle part, par exemple, que saint Jean ait assisté à l’ensevelissement du Christ. Mais le théâtre devint, au XVe siècle, un nouvel Évangile qui acquit, aux yeux des artistes, plus d’autorité que l’ancien. Les Saints-Sépulcres de la fin du moyen âge, que nous allons étudier, ne sont pas autre chose que des tableaux vivans traduits en pierre.

Quand vit-on apparaître pour la première fois ces grandes figures qui, dans le demi-jour d’une chapelle, donnent l’impression inquiétante de la réalité ? Il est difficile de le dire avec une entière certitude. On peut cependant serrer la vérité d’assez près. Il me paraît certain que le XIVe siècle n’a pas connu les grandes Mises au tombeau sculptées. J’en donnerai une preuve qui me paraît convaincante.

Paris avait, au XIVe siècle, deux chapelles du Saint-Sépulcre. L’une, celle de la rue Saint-Martin, datait de 1326 ; l’autre, celle du couvent des Cordeliers, était un peu plus récente. Elles avaient été fondées par des confréries de pèlerins qui avaient fait, ou se proposaient de faire le grand voyage de Jérusalem. L’esprit des Croisades avait pris alors cette forme pacifique. On s’attend bien à trouver dans ces chapelles quelque image du saint tombeau que tous les confrères rêvaient de contempler. Et en effet, dans la petite église de la rue Saint-Martin, on voyait un édicule qu’on appelait le Sépulcre et qui avait été fait très certainement, comme c’était l’usage, à l’image du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Mais,