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héros. » Les petits Américains, à l’égal du champion de la liberté, apprennent à vénérer le conquérant ; et lorsqu’on veut meubler leur mémoire de certains textes qui leur tiendront compagnie pour la vie, c’est du chant America, composé à l’époque des hostilités contre l’Espagne, ou bien c’est d’un autre poème intitulé Le rêve de Cuba, que l’on s’empresse de faire choix. Une nouvelle poésie nationale est née ; tout de suite elle est devenue poésie scolaire.

« Nous donnons nos têtes, nos cœurs, nos bras à notre pays ! Une patrie, une langue, un drapeau ! » Chaque matin, cette déclaration des droits de l’Amérique est psalmodiée, dans certaines écoles de New-York, devant l’étendard de la République américaine, par ces innombrables enfans de toute langue et de toute nationalité, dont l’Amérique, tutrice impérieuse, exige que l’instruction primaire fasse des Américains. La démocratie américaine, dans ses écoles, fait mieux et plus que de dresser le citoyen ; à proprement parler, elle le fait naître, elle le baptise, elle le crée. C’est ainsi qu’au jour le jour la masse composite des immigrés tend à se fondre avec la nation : l’école est l’un des creusets où s’opère cette fusion[1] ; et suivant la formule, d’une saveur bien américaine, que prononçait en 1893, au congrès d’éducation de Chicago, le surintendant Jones, l’enseignement élémentaire de l’histoire nationale et de la vie nationale « amène le petit enfant à aimer le pays, parce que ses institutions sont dignes, parce que ses associations sont sacrées. »


VII

Que l’instruction primaire s’adapte au tempérament propre et aux constitutions respectives des nations diverses, rien n’est plus naturel ni plus logique. Mais sous quelque latitude qu’on l’observe, l’école primaire, partout, nous apparaît comme vouée au service exclusif d’une nation, comme garante du vouloir-vivre national, comme l’organe dont se servent les gouvernans pour assurer à leur peuple le maintien de sa vie personnelle et pour développer, dans l’âme de ce peuple, le sens de l’honneur. Tous les régimes, quels qu’ils soient, autocratique, parlementaire

  1. Voir à ce sujet des citations fort probantes dans le livre capital de M. Bocquillon : La Crise du patriotisme à l’école, p. 431-432 (Paris, Nony, 1905), livre sur lequel nous reviendrons.