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et aussi des différences fondamentales entre le régime de la Mer-Noire et des détroits de Constantinople et celui de la Baltique et des détroits danois. Les États de second rang, comme la Roumanie et la Bulgarie, qui, jusqu’à présent, subissaient passivement la loi des grandes puissances, entendent maintenant obtenir voix au chapitre ; dans un article de la Revista Judiciaria qui fait beaucoup de bruit, un ancien ministre roumain des Travaux publics, M. E.-M. Parumbara, examine les différentes éventualités auxquelles pouvait donner lieu l’apparition du Potemkine dans la Mer-Noire et dans les détroits, et en prend texte pour étudier et critiquer le régime juridique de la Mer-Noire, du Bosphore et des Dardanelles. L’heure est propice pour essayer de remettre au point, pour le public français, une question, qui, maintes fois déjà, a mis le feu aux quatre coins de l’Europe ; il ne s’agit pas, bien entendu, de refaire l’histoire de tant de belles guerres qui n’ont rien terminé, et de tant de beaux traités qui n’ont rien fondé de durable ; mais, à travers ce maquis de règles et d’exceptions où aime à s’exercer la subtilité des diplomates et où se complaît la casuistique savante des professeurs de droit international, ne saurait-on trouver un fil conducteur, une méthode propre à faire comprendre la nature de la question, sa vraie portée et les raisons réelles qui décident des variations du droit selon les fluctuations des intérêts ? C’est ce que nous voudrions tenter de faire ici.


I

Nos livres de géographie et d’histoire sont émaillés d’aphorismes que les auteurs se transmettent les uns aux autres sans que personne s’avise de les contrôler : « les avantages incomparables » de la position de Constantinople sont une de ces vérités qui ne sont qu’à demi vraies. Excellente pour un État fort, capable de suffire à sa propre défense et de porter la guerre chez ses voisins, la position de Constantinople est dangereuse pour un État faible et mal armé. Confier les clefs d’une maison où est enfermé un soldat vigoureux à un portier invalide, c’est l’exposer aux pires mésaventures ou le mettre, dans la nécessité d’appeler à l’aide ; les gardiens de renfort accourent volontiers, mais ils n’aiment guère à se retirer les mains nettes. C’est sa position « si avantageuse » sur le Bosphore et sur les Dardanelles