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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/828

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retourne cette obsédante « question des Détroits, » plus elle paraît s’embrouiller, plus elle semble insoluble. En vain, depuis plus d’un siècle, les cabinets européens conduisent de laborieuses négociations, les diplomates, par de subtils détours, se flattent d’avoir éludé les crises et émoussé l’acuité des conflits, les juristes s’épuisent à déduire, du jeu changeant des intérêts et des rivalités nationales, les principes permanens qui constitueraient le droit, une évolution fatale ramène toujours au même point la « question des Détroits ; » après de longs circuits, parfois après des guerres sanglantes, on s’aperçoit avec stupeur qu’on a piétiné sur place. En sera-t-il donc indéfiniment ainsi et devrons-nous renoncer à conclure autrement que par cette constatation décourageante ? Peut-être, s’il est vrai que la « question des Détroits » est d’abord conditionnée par des situations géographiques qui ne sauraient changer ; mais, dans la Mer-Noire et dans la politique orientale, apparaissent des élémens nouveaux qui sont de nature à y modifier l’équilibre des intérêts et dont la présence est, à elle seule, de nature à hâter l’adoption d’une solution durable.

Tout d’abord Russes et Turcs ont cessé d’être seuls en présence dans la Mer-Noire. Sans compter l’Autriche-Hongrie qui, par le Danube ouvert à la libre navigation internationale, touche à la Mer-Noire, la Roumanie et la Bulgarie, qui y possèdent des ports, sont devenues, la première, en fait et en droit, la seconde, en fait, des États autonomes. La question s’est posée de savoir si ces puissances nouvelles auraient le droit d’entretenir des forces navales dans la Mer-Noire. Pour la Roumanie, État souverain, la réponse n’est pas douteuse ; elle possède déjà un petit croiseur protégé, sept canonnières, six gardes-côtes, plusieurs torpilleurs, et l’apparition du Potemkine dans les eaux de Constantza a déterminé dans l’opinion publique et dans la presse un mouvement très accentué en faveur d’une augmentation des forces navales et de fortifications à élever à Constantza ; un projet dans ce sens sera vraisemblablement présenté avec le prochain budget et promptement réalisé. Quant à la Bulgarie, elle a tranché la question par le fait : elle a fait venir par chemin de fer des torpilleurs qui ont été montés à Bourgas et qui, avec quelques petites canonnières, font flotter sur la Mer-Noire le pavillon bulgare. Si minimes que soient ces forces navales, elles suffisent à modifier profondément l’aspect de la question des Détroits ; le droit de passage n’intéresse plus seulement les deux rivales