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séculaires, la Turquie et la Russie ; la Roumanie et la Bulgarie ne touchent à aucune autre mer qu’au Pont-Euxin et il y aurait une iniquité flagrante à refuser à leurs bâtimens de guerre d’en sortir ou d’y rentrer ; dans la vieille querelle russo-turque, il faut maintenant compter avec les droits des tiers. Ainsi la présence de plusieurs États sur les rives de la Mer-Noire fait de plus en plus sentir la nécessité d’une réglementation équitable qui sauvegarde les droits de la Turquie, la sécurité du Sultan et de sa capitale, tout en ouvrant, enfin, sous certaines conditions, les portes de la Mer-Noire. Le régime appliqué au canal de Suez, depuis la Convention de Constantinople du 29 octobre 1888, a donné jusqu’ici des résultats encourageans ; le canal est ouvert même aux navires belligérans à la condition qu’ils n’y fassent pas séjour ; qu’ils ne s’y livrent à aucun acte de guerre, non plus que dans un rayon de trois milles à l’entrée et à la sortie du canal ; qu’ils n’y embarquent que les ravitaillemens et le charbon strictement nécessaires ; qu’il y ait un intervalle de vingt-quatre heures au moins entre la sortie de deux bâtimens ennemis. Un régime qui comporte tant de précautions, garanti par une convention internationale, n’aurait rien qui pût porter ombrage à la Sublime Porte ou alarmer la sécurité du Sultan. Mais il faudrait, pour qu’on réussît à l’établir, que les grandes puissances renonçassent à tout espoir secret de domination exclusive sur les détroits. L’aventure du Potemkine n’a été qu’une fausse alerte ; mais, si les gouvernemens d’Europe s’obstinaient à ignorer les transformations profondes qui renouvellent la face du monde et se refusaient à tenir compte des élémens jeunes qui bouleversent les fondemens de la vieille politique ; si la diplomatie continuait à s’enlizer dans les anciens erremens et à ressasser indéfiniment les mêmes problèmes sans les résoudre jamais, peut-être, la patience des peuples venant à se lasser, assisterions-nous un jour à l’avènement d’une politique toute nouvelle, révolutionnaire dans ses procédés et dans ses solutions. Ce ne sont là sans doute que des hypothèses, des craintes chimériques, mais ne serait-il pas opportun d’y prendre garde, à l’heure où certains symptômes permettent de croire qu’une crise nouvelle de la « question d’Orient » va bientôt s’ouvrir et où, la paix rétablie dans les mers jaunes, de nouvelles complications semblent se préparer dans le Levant méditerranéen ?


RENE PINON.