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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/844

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de réflexions nouvelles ! Il me semble que je ne parle plus qu’à votre ombre ; tout ce que j’ai connu de vous a disparu ; à peine trouverez-vous dans votre mémoire la trace des affections qui vous animaient, les derniers jours que vous avez passés à Paris. » Cette perspective l’émeut si fort qu’elle fait appel, en termes presque supplians, à cette même amitié qu’elle paraissait repousser tout à l’heure : « Plût au ciel que vous fussiez mon ami, ou ne vous avoir jamais connu ! Croyez-vous ? Serez-vous mon ami ? Pensez à cela une fois seulement ; est-ce trop[1] ? »

C’est seulement d’aujourd’hui que ses yeux commencent de s’ouvrir. Cette agitation, cette angoisse, ce vide qui s’est creusé brusquement dans sa vie, sont-ce là les suites accoutumées d’une pure et tranquille affection ? Une fois déjà, n’a-t-elle pas ressenti ces symptômes ? Elle s’analyse longuement, avec bonne foi, et, tremblante de sa découverte, elle s’adresse à l’absent pour l’aider à lire en son âme et réconforter sa détresse : « Dites-moi, est-ce là le ton de l’amitié ? Est-ce celui de la confiance ? Qu’est-ce qui m’entraîne ? Faites-moi connaître à moi-même ; aidez-moi à me remettre en mesure. Mon âme est bouleversée ; sont-ce mes remords ? Est-ce ma faute ? Est-ce vous ? Serait-ce votre départ ? Qu’est-ce donc qui me persécute ? Je n’en puis plus ! Dans ce moment, j’ai de la confiance en vous jusqu’à l’abandon ; et peut-être ne vous reparlerai-je de ma vie. » Quelques semaines plus tard : « Je ne sais plus ce que je vous dois ; je ne sais plus ce que je vous donne. Je sais que votre absence me pèse, et je ne saurais répondre que votre présence me fît du bien. Quelle situation horrible, où le plaisir, où la consolation, où tout enfin devient poison ! Que faire, dites-moi ? Où retrouver le calme ? Oh ! combien de fois l’on meurt avant que de mourir[2] ! »

La souffrance qu’elle dépeint en ces mots éloquens, il est facile d’en deviner la cause. Ce cœur tout frémissant, ce cœur qui lui échappe, elle a perdu le droit d’en disposer, elle en a fait don à un autre ; chacun de ses battemens est une sorte de trahison. Déjà, la veille du départ de Guibert, elle a senti la première morsure du remords, en recevant une lettre de Mora pleine de tendresse et de confiance : « Il me parle de moi, de ce que je pense, de mon âme, avec ce degré de connaissance et de certitude qu’on a, lorsqu’on exprime ce que l’on sent vivement et

  1. Lettres des 15 et 23 mai. Passim.
  2. Lettre du 1er juillet. — Édition Asse.