Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/906

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Il est vrai, selon lui, qu’elle en peut être une également avec la musique et même par elle :

« Je suis avide de trouver un maître dans l’art des sons, dit un novateur à son disciple ; un maître qui apprendrait chez moi les idées et qui les traduirait dorénavant dans son langage : c’est ainsi que j’arriverais mieux à l’oreille et au cœur des hommes. Avec les sons, on parvient à séduire les hommes et à leur faire accepter toutes les erreurs et toutes les vérités. Qui donc serait capable de réfuter un son ? »

Qui donc aussi plaça jamais la musique si haut et si bas ! Qui lui reconnut jamais tant de pouvoir, que de la déclarer maîtresse toute-puissante, pour le bien et même pour le mal, non seulement de notre âme, mais de notre esprit, et de nos idées autant que de nos sentimens !

En dehors, si ce n’est au-dessus de la musique de Wagner, Nietzsche a donc connu, chéri la musique elle-même. Il a compris et défini parfois avec justesse le génie des grands musiciens. Il a bien parlé de Haendel et de Schubert, de Schumann et de Bach, de Mendelssohn et de Mozart. Et pour le maître des maîtres il a trouvé ces fortes et belles paroles : « Il se rencontre toujours çà et là quelque demi-dieu qui parvient à vivre dans des conditions effroyables et à en vivre vainqueur. Voulez-vous entendre ses chants solitaires ? Écoutez la musique de Beethoven. »

Sur l’histoire de la musique, Nietzsche paraît avoir eu aes idées inégales. Il mêle parfois les époques et les genres et, par exemple, il suppose des rapports de chronologie assez inattendus entre la musique religieuse et la musique d’opéra. Mais, fût-ce en histoire, il rachète quelques erreurs par de véritables trouvailles et des vues un peu troubles par de lumineux aperçus. Il distingue très bien dans le génie de Bach un caractère mystique étranger, pour ne pas dire contraire et supérieur à l’esprit du protestantisme. En quelques pages, si ce n’est en quelques lignes seulement, il marque la naissance et l’évolution, au sein du christianisme « régénéré par le concile de Trente, » d’une « musique pleine d’âme » succédant à la musique surtout savante de l’âge précédent. Enfin, rien que dans ce titre d’un chapitre, ou d’un paragraphe : « La musique, manifestation tardive de toute culture ; » un peu plus bas, en cette poétique et symbolique formule : « Toute musique vraiment remarauable est un