Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

antique et dans le drame wagnérien, des deux élémens ou des deux principes, l’un de rêve et de calme, l’autre de force, d’enthousiasme et d’ivresse, qu’on nomme l’esprit apollinique et l’esprit dionysien.

Ainsi tout, en ce livre, aboutit ou revient, comme à son centre, au génie et à l’œuvre de l’auteur de Tristan. On y voit l’évolution de l’opéra s’achever, ou plutôt se rectifier et s’ennoblir par l’avènement de l’art lyrique allemand et surtout wagnérien. « Du tréfonds dionysiaque de l’esprit allemand, une force a surgi... Que le menteur et l’hypocrite prennent garde à la musique allemande ; car, au centre de toute notre culture, elle seule est le feu spirituel, inaltéré, limpide et purificateur... »

Enfin, sur l’essence même autant que sur l’histoire de la musique, Nietzsche n’expose ou ne professe pas d’autres idées que celles de Wagner. Il emprunte à Schopenhauer, dont il était alors le disciple fervent, toute sa métaphysique musicale, ou peu s’en faut, et l’on sait que le musicien de Bayreuth avouait lui aussi pour son « maître de philosophie » le philosophe de Francfort.

Un « feu spirituel, inaltéré, limpide et purificateur » n’éclaire pas toujours les pages ou les chapitres de l’Origine de la tragédie consacrés à la définition et à l’analyse de la musique en soi. Vous imaginez sans peine tout ce qu’ont pu dire là-dessus deux philosophes, et qui étaient Allemands; à quelles profondeurs ils sont descendus, l’un par l’autre entraînés, et souvent à travers quelles ténèbres. Mais toujours, derrière Schopenhauer commenté par Nietzsche, sous la double couche d’abstraction et de métaphysique, c’est l’esthétique de Wagner qu’on entrevoit, et le premier livre du penseur apparaît constamment comme un hommage, à la fois obscur et détourné, mais fervent, au génie du musicien.

Un autre allait bientôt le suivre, plus direct et plus éclatant. De la publication de l’Origine de la tragédie jusqu’à l’apparition de Richard Wagner à Bayreuth (1876) l’amitié passionnée de Nietzsche pour Wagner ne fit que s’accroître et s’exalter. Les grands desseins de Wagner sur Bayreuth trouvèrent en lui le serviteur ou l’apôtre le plus dévoué. La défiance, l’opposition du public le transportait d’une sainte colère. Dévoré par le zèle de la maison de son Seigneur, il fut de ceux qui, sur la colline élue, en virent poser la première pierre. « En ce jour de mai de