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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/913

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ce qu’il y a chez lui de personnel et de nouveau, que Nietzsche entreprend de nous révéler. Sa pensée et son langage prennent alors une précision qui n’enlève rien à leur puissance et l’on se demande si dans une telle critique c’est l’ampleur ou l’exactitude qu’il convient d’admirer davantage.

« En Wagner, écrit Nietzsche, le monde visible veut se spiritualiser, s’absorber et trouver son âme perdue dans le monde des sons.

« En Wagner aussi, le monde des sons veut se faire jour comme phénomène pour la vue et pour ainsi dire prendre corps. Son art le conduit toujours par deux voies différentes du monde où domine le son vers le monde de la vision, auquel le relient des affinités mystérieuses, et vice versa. Il est continuellement forcé, — et l’observateur avec lui, — de retraduire le mouvement visible en âme et en vie proprement dite et de percevoir en même temps comme phénomène visible l’action la plus cachée de l’âme et de lui donner un corps apparent. »

Cela n’est plus de la métaphysique. Mais c’est encore de la philosophie, appliquée à un grand musicien et comme vérifiée en lui. C’est une juste définition de l’espèce de dualisme et du conflit, ou mieux de l’échange perpétuel, qui s’opérait chez Wagner avec plus de force et de richesse peut-être que chez tout autre, entre le musicien de théâtre et le pur musicien.

Ailleurs, la métaphysique même s’explique et s’éclaire pour nous par une lumineuse interprétation du génie de Wagner. Nietzsche nous le montre embrassant en quelque sorte la musique non seulement de l’avenir, mais de l’univers, « De Wagner le musicien, on pourrait dire en général qu’il a donné une voix à tout ce qui jusqu’ici n’avait pas voulu parler dans la nature. Il ne croit pas à l’existence nécessaire de quelque chose de muet. Il pénètre jusqu’à l’aurore, dans la forêt et dans la nue, dans la gorge et jusqu’au sommet des monts, dans l’horreur et dans la sérénité des nuits, et partout il devine leur désir secret ; eux aussi, ils veulent rendre un son dans la mélodie universelle. Là où le philosophe dit : il existe une volonté qui, dans la nature animée comme dans la nature inanimée, a soif d’existence, le musicien ajoute : et cette volonté veut, à tous les degrés, une existence mélodieuse. »

Enfin, serrant toujours de plus près le sens intime et la beauté spécifique du génie wagnérien, Nietzsche en détermine avec jus-