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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/912

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lui fait prêter l’oreille. « Des amis vinrent, lui annonçant un mouvement souterrain dans un grand nombre d’âmes. Ce n’était pas encore « le peuple » qui s’agitait, mais peut-être le germe, la première étincelle de vie d’une société véritablement humaine et destinée à la perfection dans un avenir lointain. Dès lors il voit se multiplier les présages et les promesses. À la douceur d’une auguste et vraiment libératrice amitié, s’ajoute, en son cœur allemand, la fierté d’une guerre victorieuse. Et sa gloire à lui semble sortir de la gloire de sa patrie. Ses œuvres sont représentées. À vrai dire, elles le sont mal, et traduites moins que trahies par des interprètes qui n’ont pas appris encore à les comprendre. Elles réussissent pourtant. Wagner essaie, — en vain, — de montrer ce qu’il y a « d’équivoque et même d’humiliant pour lui dans ces succès, » Comme Gœthe autrefois, écoutant son Iphigénie : « Je souffre, dit-il, quand je suis obligé de me débattre avec ces fantômes qui n’apparaissent pas comme ils devraient. » De cette souffrance naît l’idée et la volonté de Bayreuth. Et cette volonté s’accomplit. Et Bayreuth s’élève, pour défendre au moins le principal ouvrage de Wagner « contre les outrages de la mauvaise interprétation, même du succès calomniateur, » pour enfermer dans un temple ou dans un reliquaire l’anneau fatidique où Wagner avait gravé « les runes de sa pensée. »

Nietzsche conclut avec éloquence et poésie : « Il esta peine besoin de le dire : le souffle tragique a passé sur cette vie. Celui dont l’âme peut en pressentir quelque chose, celui pour lequel la nécessité d’une illusion tragique sur le but de la vie, le brisement des intentions, le renoncement et la purification par l’amour, ne sont pas des notions étrangères, celui-là doit sentir, dans ce que Wagner nous montre à présent dans son œuvre, comme une vague ressouvenance de l’existence tragique du grand homme. Nous croyons entendre dans le lointain Siegfried racontant ses exploits ; le deuil profond de l’automne se mêle à la joie touchante du souvenir, et toute la nature se tait dans un crépuscule doré. »

L’œuvre est résumée aussi largement que la vie. Nietzsche parfois se plaît à ne regarder Wagner que du point de vue le plus général, à ne définir, à n’admirer le génie du musicien qu’en raison et comme en fonction du génie de la musique en soi. Mais d’autres fois, c’est Wagner lui-même et lui seul, c’est