au lecteur une contemplation muette, sérieuse, attentive, comme il convient en présence de précieux reliquaires. » Ainsi parlait Nietzsche autrefois. Mais tout à coup ses yeux se sont fermés à la lumière, et ses oreilles au témoignage ; il a, de ses mains irritées, brisé le reliquaire et jeté les reliques au vent.
Enfin ce n’est pas seulement la musique de Wagner, c’est la musique selon Wagner que Nietzsche répudie et déteste aujourd’hui. C’est la conception d’une musique ne signifiant pas seulement la musique. Et pourtant n’est-ce pas cette conception-là dont il avait fait jadis, avec Wagner et d’après les Grecs, la base, le centre et le sommet de sa propre doctrine ? Quand il se plaint que Wagner, par principe, mette au premier plan son : « Cela signifie, » Nietzsche oublie qu’il a naguère attendu, exigé lui aussi de la musique la signification de choses plus vastes et plus hautes qu’elle-même. Ce qu’il traite avec mépris de « littérature, » c’est l’ensemble des rapports supérieurs, — et sans lesquels il n’est pas de musique digne de ce nom, — que la musique soutient avec la vie : avec la vie de l’individu et celle de la foule ; c’est la correspondance de l’ordre sonore, — comme de tout ordre esthétique, — avec l’ordre de l’esprit et de l’âme, avec cet univers où Nietzsche avait admis la musique et d’où maintenant il prétend l’exclure. Prétention injurieuse et de sa part imprévue. Pour son art bien-aimé, que n’avait-il pas revendiqué naguère ! Quelle mission ! Quelle dignité ! Quelle puissance ! Alors il lui confiait le soin, il lui conférait l’honneur de simplifier l’apparence du monde et de résoudre, pour un instant, l’énigme de la vie. Jusqu’où ne sont pas descendus aujourd’hui ses vœux et son espérance ? Écoutez la dernière question qu’il se pose et comment il y répond. « Mon corps tout entier, que demande-t-il en fin de compte à la musique ? Car il n’y a pas d’âme... Je crois qu’il demande un allégement ; comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, effrénés et orgueilleux… »
Ainsi contre son esprit, contre son âme, — il y croyait alors, — autrefois ravie en extase, Nietzsche en appelle à son corps. Il ne demande plus que pour son estomac, pour ses entrailles, — il les nomme, — le contentement et le bien-être. « Mes objections contre la musique de Wagner sont des objections physiologiques. À quoi bon les désigner encore sous des formules esthétiques ? L’esthétique n’est qu’une physiologie anoliquée. » Il faut