Idéal classique, idéal gréco-latin, tous les deux se mêlent et n’en font plus qu’un dans cet éloquent aveu de crainte et d’espérance : « Le danger de la musique nouvelle, c’est qu’elle nous présente la coupe des délices et du sublime avec un geste si captivant, avec une telle apparence d’extase morale, que le plus modéré et le plus noble finit toujours par en absorber quelques gouttes de trop. Mais cette minime débauche, répétée à l’infini, peut amener à la longue une altération de la santé intellectuelle plus profonde que celle qui résulterait des excès les plus grossiers, en sorte qu’un jour il ne restera plus autre chose qu’à fuir la grotte des nymphes, pour retourner, à travers les flots et les dangers, vers l’ivresse d’Ithaque et les baisers de l’épouse, plus simple et plus humaine, bref de retourner au foyer. »
Ce n’est point assez pour Nietzsche de convaincre de romantisme la musique wagnérienne, moderne, allemande. Il finit par en soupçonner, par en croire atteinte et comme viciée dans son essence la musique elle-même. « Je touche ici à une question capitale : dans quel domaine se classe notre musique entière ? Les époques du goût classique ne connaissent rien de comparable ; elle s’est épanouie lorsque le monde de la Renaissance atteignit à son déclin... La musique, la musique moderne n’appartient-elle pas déjà à la décadence ?... N’est-elle pas née dans l’opposition contre le goût classique, de sorte que chez elle toute ambition de classicisme soit par elle-même interdite ?...
« La réponse à cette question de « valeur, » qui a une importance de premier ordre, ne serait pas douteuse, si l’on avait justement apprécié le fait que la musique atteint dans le Romantisme sa maturité supérieure et sa plus grande ampleur, — encore une fois comme mouvement de réaction contre le classicisme. »
La réponse en effet ne serait pas douteuse. Mais ce ne serait pas celle que semble prévoir et redouter notre romantique repenti. Dans l’histoire et dans le génie de la musique, l’idéal romantique a sa part, et glorieuse. Mais le romantisme n’est tout de même qu’un des aspects, un des momens de l’art musical ainsi que des autres arts. Il est très loin de l’absorber, ou, comme Nietzsche paraît tenté de le croire, de le corrompre tout entier.
À ces causes, purement esthétiques, de la révolution musicale de Nietzsche, il convient d’en ajouter d’autres, qui touchent