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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/924

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de plus près à sa morale, ou plutôt (nous ne parlons bien entendu que de ses théories) à son immoralité.

Sur les choses ou les « valeurs » de la vie et de l’âme, il n’y a peut-être pas dans l’œuvre entier de Nietzsche une idée, un principe, un sentiment, qui ne trouve dans l’œuvre entier de Wagner un démenti, voire une condamnation. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toutes tes forces et ton prochain comme toi-même pour l’amour de Dieu. » Les deux préceptes contraires ne résumeraient pas mal l’éthique du philosophe allemand. Nietzsche n’a haï personne autant que Dieu, si ce n’est son prochain. Il n’aima, n’adora que lui-même, et l’orgueil, la cruauté de son égoïsme n’eut d’égale que l’insolence ou le cynisme de son impiété.

Pour Nietzsche, la croix n’était que « le plus vénéneux de tous les arbres qui aient pris racine ici-bas. » Mais l’artiste qu’était Wagner voulut mourir à l’ombre de cet arbre et que son dernier chef-d’œuvre y fleurît. Un jour, Nietzsche reçut un exemplaire du poème de Parsifal où le poète avait fait suivre son nom de ces mots : « Membre du Conseil supérieur de l’Église. » Il découvrit alors, — et si ce fut alors seulement on peut s’étonner que la découverte ait été si tardive, — tout ce qu’au « génie du christianisme » le génie de Wagner avait emprunté et rendu. « Seiig im Glauben ! Selig in Liebe ! » chantent les serviteurs du Graal. « Heureux celui qui croit ! Heureux celui qui aime ! » Ennemi de la croyance autant que de l’amour, Nietzsche devait déf’îster non seulement dans un Parsifal, mais dans un Lohengrin, dans un Tannhäuser, dans un Vaisseau Fantôme, le double idéal de la foi et de la charité.

Pas plus que la piété, la pitié n’eut accès dans son âme dure. On sait qu’il avait fait de la compassion une faiblesse, une honte même. Comment la sublime promesse : Durch Mitleid wissend, et les mélodies et les symphonies, sublimes aussi, qui l’accompagnent, eussent-elles touché son cœur ? Il ne leur épargna ni la risée, ni l’outrage. Celui que possédait tout entier « l’orgueil de la vie, » de la vie plénière et surabondante, au besoin meurtrière, et, comme il disait lui-même, « la volonté de puissance, » celui-là ne pouvait comprendre chez Senta, ni chez Élisabeth, chez Parsifal, ni chez Kundry, la volonté contraire et qui fait avec leur humilité leur grandeur, la volonté de servir et de souffrir. Mais surtout Nietzsche a gardé sa plus cavalière ironie