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La plupart de ces sonnets se composent en tableaux. Nous voyons courbé sur Cléopâtre l’ardent Imperator. Nous voyons l’amante, dans la Belle Viole, accoudée au balcon d’où elle suit la route qui a mené l’infidèle jusqu’en Italie. Nous voyons s’avancer la Dogaresse dans sa parure somptueuse et parmi son opulent cortège. Ceux qui n’évoquent pas à l’esprit l’idée d’un tableau, font songer à une statuette antique, à un bronze ou à un ivoire florentin. Il n’y a peut-être pas un de ces sonnets que ne puisse reproduire, par les moyens de son art, un peintre ou un ciseleur, s’il y en a plusieurs où le poète s’est appliqué à suivre exactement un modèle plastique. Et on n’y trouverait pas un détail qui ne s’adresse à la vue, ou tout au moins, qui, pour pénétrer jusqu’à l’âme, ne nous entre d’abord par les yeux.

D’autres parmi les poètes de la même école ont été plus sensibles à la forme, Heredia l’a été davantage à la couleur. De tous ceux qui ont peint avec des mots, c’est lui sans doute dont la palette a été le plus abondamment pourvue de tons riches et chauds. Chez lui tout brille et tout vibre. Il excelle à faire reluire les métaux, chatoyer les gemmes, resplendir les pourpres et sur toutes choses


Courir un frisson d’or, de nacre et d’émeraude.


Et de même la sonorité de ses vers est le plus souvent éclatante. C’est un orchestre où domineraient les cuivres, si parfois dans leur silence s’élève une note douce et tendre, pour dire la plainte de l’amante ou le soupir nostalgique de l’exilée. Heredia possédait comme personne les secrets du rythme et de la cadence. Il savait pourquoi un vers où domine telle consonance éveille au fond de nous un monde de sensations. Rien n’était laissé au hasard. Rien n’était inutile. Pas un mot qui ne fût pour l’ornement, ou une épithète pour l’effet. Pas un détail qui ne fût commandé par l’idée générale et l’âme même de la pièce. C’est le point où il faut toujours en’ revenir, si l’on veut apprécier justement cette œuvre qui, avant tout et d’abord, est belle de conscience.

C’est le même souci de perfection artistique qui a guidé J.-M. de Heredia dans le choix qu’il a fait de la forme du sonnet. Ce choix lui était indiqué par ses maîtres de la Renaissance, la Pléiade ayant recommandé l’usage de cette « plaisante invention italienne, » et Ronsard n’ayant jamais plus que dans quelques-uns de ses sonnets fait œuvre de maîtrise. Ce que l’auteur des Trophées aimait d’abord dans le sonnet, c’en était la difficulté, qui est pour le poète le meilleur stimulant ; et c’en était la brièveté qui force l’écrivain à condenser sa