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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/958

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quelques écervelés qui ont signé des affiches anti-militaristes, mais dans les origines déjà lointaines de l’anti-militarisme lui-même. A des degrés différens, il y a bien peu de socialistes qui n’aient ici leur part de responsabilité. Beaucoup le sentent et font aujourd’hui des efforts pour se dégager doucement de leur passé, sans aller jusqu’à le renier. Ils cherchent des explications, des atténuations à leur langage d’autrefois. Peut-être, disent-ils, leur amour de la paix s’est-il exprimé avec trop de force. Ils ont rêvé, et ils continuent de rêver un fige d’or où l’humanité, réconciliée avec elle-même, n’emploiera plus le fer qu’à faire des charrues, et où, dans l’embrassement universel, la guerre ne sera plus qu’un lointain et sinistre souvenir. Mais ils reconnaissent que ces temps heureux se perdent encore dans la nuit de l’avenir, et que, pour la politique pratique et présente, il ne convient pas d’en faire état. Ils se sont aperçus que, de l’autre côté de nos frontières, il y a des nations armées jusqu’aux dents, jeunes, ardentes, ambitieuses, qui estiment n’avoir pas encore atteint leur croissance légitime, ou plutôt qui n’y mettent pas de bornes. Pour le moment donc, notre sécurité ne saurait avoir d’autre garantie qu’une puissance militaire toujours disponible. Voilà qui est bien parler, assurément : par malheur, c’est le faire un peu tard. Nous ne voulons citer aucun nom, afin de ne mettre aucun amour-propre en travers des conversions qui se dessinent. Gardons-nous de gêner ce mouvement, qui n’est d’ailleurs pas aussi général que nous le voudrions. Mais comment pourrait-il l’être ? Parmi ceux qui obéissaient autrefois à des entraînemens naïfs, quelques-uns étaient des hommes intelligens qui n’avaient pas encore assez réfléchi ou assez regardé autour d’eux ; mais tous ne l’étaient pas ; tous n’étaient pas capables de réflexion, ni même d’observation, et l’empreinte que les premiers ont mise sur les seconds persiste sur ceux-ci quand elle s’est effacée sur ceux-là. Les disciples dépassent les maîtres et les exagèrent : après les avoir lancés sur la pente, on ne les y retient pas comme on veut. Croit-on par exemple que la crise du patriotisme à l’école, qu’on a si bien fait de dénoncer très haut, soit de celles dont on puisse à volonté arrêter les effets ? Quand on a gâté une génération dans sa source même, c’est-à-dire dans la conscience des enfans, un long temps est nécessaire pour réparer la faute commise. Et, au surplus, fait-on tout ce qu’il faudrait pour la réparer ? Le gouvernement actuel, dont nous ne nions pas la bonne volonté à le prendre dans son ensemble, ne manque-t-il pas de l’énergie nécessaire pour rompre résolument avec le passé d’hier, et donner le coup de barre qui nous engagerait demain dans un autre