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avenir ? Il n’ose même pas se débarrasser de M. Berteaux ! Il n’ose même pas mettre à la Guerre un général ! Il y laisse un agent de change, sans paraître s’inquiéter de la responsabilité effroyable qui l’écraserait dans l’histoire si, le malheur venant une fois de plus à se déchaîner contre nous, on pouvait légitimement l’accuser de n’avoir pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour conjurer la catastrophe. Il n’y a pas de leçons qui pénètrent plus profondément dans les masses que ce qu’on appelle les leçons de choses, et c’est une éclatante leçon de choses, que d’avoir en ce moment au ministère de la Guerre un civil et un politicien comme M. Berteaux. C’est une leçon d’anti-militarisme. La République s’expose ainsi à un reproche que, parmi tant d’autres, on n’a du moins pas pu faire à l’Empire. Comment ne pas en éprouver de l’humiliation et de l’anxiété ?

La rentrée des Chambres est prochaine. Nous souhaitons, malgré tout, que le ministère survive à l’assaut que les socialistes et les radicaux socialistes s’apprêtent à lui livrer. Conservons ce que nous avons, crainte de pire. Mais il suffirait d’une lueur d’intelligence politique et patriotique pour comprendre qu’une révision s’impose dans le ministère lui-même, et qu’il n’est en rapport, ni avec la situation intérieure, ni surtout avec la situation extérieure. Celle-ci s’est légèrement détendue sans doute, et nous nous en réjouissons fort, mais elle reste très délicate : il s’en faut de beaucoup que toutes les préoccupations en aient été dissipées, ou même éclaircies.


Il y a de prétendus éclaircissemens qui font naître des obscurités nouvelles, et nous craignons bien que ceux qu’a donnés le journal Le Matin ne soient du nombre. Il aurait certainement mieux valu laisser à l’histoire le soin de débrouiller les circonstances dans lesquelles M. Delcassé a donné sa démission que de prendre à lâche de les débrouiller soi-même dès aujourd’hui. Beaucoup de bruits ont couru à ce sujet. Il était extrêmement facile à un journal quelconque de les recueillir et de les reproduire, vrais ou faux ; mais nous constatons qu’il ne s’en est trouvé qu’un pour le faire : libre à lui de croire que cela lui a fait un grand honneur. On a accusé M. Delcassé d’avoir été l’inspirateur de l’indiscrétion commise. Rien ne prouve que ce reproche soit justifié et M. Delcassé le repousse. Tout le monde avait plus ou moins entendu dire ce que Le Matin a rapporté, et tout le monde par conséquent pouvait le rapporter comme lui : mais on a cru généralement qu’il était plus sage de s’en taire, d’abord parce qu’il était difficile, sinon même impossible, d’en contrôler l’exactitude ; ensuite