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seulement sont venus jusqu’à nous : une élégie en vers sur la mort toute récente de Mariquita Ladvenant, un poème héroï-comique sur l’aventure galante d’un de ses familiers, qu’on nommait l’abbé Casalbon. Une singulière figure, pour le dire en passant, que ce dernier personnage, ex-jésuite défroqué, humaniste érudit, écrivain élégant, du reste toujours affamé, parasite effronté des grands seigneurs de Madrid, payant un dîner d’un sonnet, vendant sa plume au plus offrant, et toujours prêt à soutenir sur commande, dans les disputes politiques ou privées, avec la même chaude éloquence, la cause du plus puissant et du, plus riche enchérisseur. Mora, pour sa part, l’employa à traduire dans sa langue natale ou, pour mieux dire, à adapter l’un de ces romans de Richardson qui arrachaient alors des larmes à tous les beaux yeux de Paris. C’était, nous le savons, l’auteur préféré entre tous de Mlle de Lespinasse, et sans doute faut-il voir un ressouvenir de ses entretiens avec elle dans l’ardeur de Mora à faire goûter Sir Charles Grandison de ses compatriotes[1].

Parmi les salons de Madrid, l’un des plus à la mode était celui d’Olavide[2], l’ancien intendant de Séville, littérateur de marque et voltairien de profession. Fort riche, et recevant avec magnificence, il avait fait adjoindre à son hôtel une ravissante salle de spectacle, où la fine fleur de la noblesse jouait des pièces de Voltaire, traduites en espagnol par le maître de la maison. Mora était intime dans cette demeure, et le plus assidu, comme le plus admiré, aux réunions littéraires qui s’y tenaient chaque semaine, à jour fixe. Il consentait même quelquefois à monter sur la scène et à jouer les rôles d’amoureux. Celle qui lui donnait la réplique était habituellement l’étoile de ce petit théâtre, dona Mariana de Silva, duchesse de Huescar[3], surnommée l’Académicienne à cause de ses talons dans les diverses branches de l’art et de la littérature. « La duchesse de Huescar, lit-on dans une notice qui lui est consacrée, écrivait parfaitement des deux mains, faisait des vers excellens, et traduisait du français des tragédies et maints autres ouvrages. » Elle excellait encore

  1. Lettre de Casalbon au duc de Villa-Herraosa. Retratos de Antano, passim.
  2. Don Pablo Olavide, né à Lima en 1725, mort en 1803, après avoir été reclus huit ans dans un couvent par ordre de l’Inquisition.
  3. Née à Madrid, le 14 octobre 1740, de don Pedro de Silva, marquis de Santa-Cruz, et de Maria Cayetana de Sotomayor, marquise d’Arcicolar.