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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/98

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dans le dessin et la peinture ; certains de ses tableaux exposés à Madrid eurent un si vif succès qu’elle fut nommée présidente honoraire de la Royale Société de peinture. « A tous ces dons acquis elle joignait ceux de la beauté, de la grâce et de la douce conversation. »

Ainsi qu’il était à prévoir, la familiarité des planches provoqua rapidement une autre intimité. « A force de se dire sur la scène qu’ils s’aimaient, ils commencèrent par le croire et finirent par le réaliser. » Il semble, à dire le vrai, que, du côté du marquis de Mora, l’impression fut légère, et surtout fugitive. La duchesse, au contraire, s’enflamma pour de bon ; elle congédia la troupe des prétendans qui papillonnaient autour d’elle et fit si peu mystère du sentiment qui l’entraînait, que tout Madrid bientôt ne parla d’autre chose. Le bruit en vint jusqu’à Paris, et les Fuentès prirent inquiétude, redoutant que l’affaire allât jusqu’au mariage ; car la duchesse, de quatre années plus âgée que Mora, n’apportait d’autre dot que ses talens et sa beauté. Ils résolurent de rompre cette liaison. Par leur crédit, le régiment que commandait Mora fut expédié en Catalogne ; et le jeune colonel suivit le régiment, sans objection, sans résistance, avec une résignation exemplaire. C’est qu’il roulait dans sa tête un projet auquel il tenait plus qu’à une amourette de rencontre : obtenir un congé nouveau, retourner à Paris, retrouver les milieux où il se sentait vraiment vivre. Il faisait à cette fin démarches sur démarches, sans réussir à fléchir la rigueur du vieux ministre de la Guerre, l’impitoyable Gregorio Munian ; quand une catastrophe imprévue fit cesser toutes les résistances. Le 5 juillet 1767, succombait à Madrid, chez son aïeule la comtesse d’Aranda, le fils unique du marquis de Mora, à luge de trois ans à peine, emporté brusquement par la petite vérole.

Quel fut l’effet d’un coup aussi cruel sur une nature sensible, les lettres que Mora adresse à cette époque à son meilleur ami, le duc de Villa-Hermosa, nous permettent de l’imaginer. Il n’a plus qu’une pensée, se réfugier auprès des siens, réchauffer à leur affection son cœur malade et noyé d’amertume. La permission de se rendre à Paris est maintenant octroyée par l’autorité militaire ; mais de graves affaires d’intérêt, des démêlés avec la famille d’Aranda, retardent le départ ; et Mora passe successivement du plus complet découragement à la plus fiévreuse impatience. « Tu dois savoir, écrit-il à