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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/99

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Villa-Hermosa, les raisons qui, pour l’instant, entravent mon voyage et me priveront peut-être du seul bonheur que je puisse éprouver après cette période de tristesse… Tout se ligue contre moi, et il ne manquait plus que de me voir enlever la consolation d’embrasser parens, frère, amis, enfin tout ce que j’aime le plus au monde ! Cela m’aiderait tellement à calmer la douleur, à secouer la mélancolie qui m’accablent ! Je t’assure que j’ai traversé des jours bien cruels. Combien tu m’as manqué ! Et de quelle consolation m’eût été ta compagnie dans mes peines ! »

Nulle allusion, dans cette correspondance, au regret de quitter la duchesse de Huescar, qui, navrée de cet abandon et presque malade de chagrin, exhalait sa tristesse en élégies, en séguedilles[1], en strophes harmonieuses. Hâtons-nous toutefois d’ajouter qu’elle ne fut pas inconsolable et qu’elle rappela promptement les galans d’autrefois. Bien mieux encore : sept ans plus tard, treize mois après la mort de la comtesse de Fuentès, elle succédait à la défunte, et devenait la femme de celui qui jadis se refusait à l’avoir pour belle-fille. Un tel dénouement nous dispense de nous apitoyer sur ses déceptions amoureuses.


V

Le mois d’octobre approchait de son terme, lorsque, toutes choses réglées et toutes difficultés levées, le marquis de Mora se réinstalla de nouveau dans l’hôtel de la rue de l’Université, où il reprit le même logement qu’il occupait naguère. Vingt mois seulement s’étaient écoulés depuis qu’il en était parti ; mais quel changement, dans un espace si court, s’était opéré dans son âme ! Du jeune homme joyeux, « pétulant, » débordant de sève et de vie, curieux de toutes les nouveautés, tel qu’il était enfin à son premier séjour, il ne restait qu’une vague et lointaine apparence. Plus que le temps, la souffrance avait fait son œuvre, peut-être aussi l’obscure atteinte du mal dont il portait en soi le germe héréditaire. Ses lettres de cette époque le montrent abattu, las et désenchanté, doutant de tout et de soi-même. « Tout

  1. « Elle a été saignée deux fois, lit-on dans une lettre de Casalbon, mais cet ingrat de Mora a imprimé en elle de telles idées que rien ne la divertit. Elle fait seulement des seguedillas sur l’absence et l’inconstance, et elle dit que Dioclétien ignorait sans doute ce genre de supplice, car il n’aurait pas eu besoin d’en inventer d’autres. »