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mot de rupture : « Si c’est là l’expression de ce que vous pensez et de ce que vous sentez pour moi, croyez au moins que je ne serai pas assez vile pour me justifier et pour demander grâce… C’en est donc fait ; soyez avec moi comme vous pourrez, comme vous voudrez ; pour moi, à l’avenir, — s’il y en a un pour moi, — je serai avec vous comme j’aurais dû toujours être, et si vous ne laissiez point de remords dans mon âme, j’espérerais bien vous oublier… Pourquoi donc me plaindre ? Ah ! pourquoi ? Parce qu’un malade qui est condamné attend encore son médecin, parce que ses yeux se lèvent encore vers les siens pour y chercher de l’espérance, parce que le dernier mouvement de la douleur est une plainte, parce que le dernier accent de l’âme est un cri ! »

Malgré l’attendrissement voilé qui perce dans ces dernières lignes, elle tient rigueur, les premiers temps, au repentir du coupable : « Ayez assez d’honnêteté pour cesser de me persécuter, lui jette-t-elle après son retour. Je n’ai qu’une volonté, je n’ai qu’un besoin, c’est de ne plus vous voir en particulier… Laissez-moi, ne comptez plus sur moi. Si je puis me calmer, je vivrai ; mais si vous continuez, vous aurez bientôt à vous reprocher de m’avoir rendu la force du désespoir. Epargnez-moi le chagrin et l’embarras de vous faire exclure à ma porte dans les heures où je suis seule. » Huit jours se passent ainsi, huit jours de fermeté stoïque ; puis, un matin, Guibert force sa porte, et elle tombe dans ses bras : « Quel horrible projet j’avais conçu ! Ne plus vous voir ! Cela serait impossible, vous le savez bien. Vous savez bien que, quand je vous hais, c’est que je vous aime avec un degré de passion qui égare ma raison. »

Quelques semaines plus tard, c’est une séparation nouvelle, plus facilement explicable que l’autre, puisque, cette fois, il s’agit pour Guibert d’aller faire un séjour dans sa terre de famille, près d’un père et d’une mère dont il est la joie et l’orgueil. Les jours qui précèdent le départ, il se montre plus attentif, plus empressé, plus tendre, qu’il n’a jamais été : « Je suis poursuivi de pensées tristes, écrit-il à Julie[1] ; presque toutes vous sont relatives. Vous n’êtes pas heureuse, votre santé est languissante : à peine êtes-vous rattachée à la vie. Vous l’êtes par un sentiment auquel vous n’avez jamais osé vous livrer tout

  1. Lettre de juillet 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.