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distillaient leur célèbre alcool. Dégagé, isolé entre une vaste place et des corbeilles de verdure, le Dôme est restauré de la base au faîte, les aiguilles pyramident au sommet des tours qui les attendaient depuis tant de siècles. Sur les côtés de la place et dans la perspective des rues, d’énormes cubes de maçonnerie abritent les hôtels, les bureaux des grandes entreprises industrielles, les magasins luxueux où s’entassent, derrière la vitre tout d’une pièce, des machines pratiques et des spécimens d’un art affligeant : « galanteries, » camelote d’exportation, meubles et bronzes tordus dans les crispations du « moderne style ; » robes voyantes coupées par des couturiers sans malice, pour d’honnêtes femmes ignorantes de ce qu’elles voudraient imiter, les élégantes suggestions des toilettes parisiennes.

C’est le samedi soir. Une foule dense, bien vêtue, s’échappe des ateliers, encombre les rues ; elle descend aux terrasses des brasseries qui dominent le Rhin. Ces jardins regorgent de consommateurs, attablés autour des kiosques où les musiques régimentaires viennent louer leurs services : tolérance qui nous paraîtrait incompatible avec le prestige de l’armée. La bière coule à flots : pas un verre d’absinthe. Si l’on généralise cette remarque sur l’absence d’un poison dont je n’ai pas vu trace dans l’Allemagne du Nord, elle expliquera peut-être, mieux que toutes les considérations sur les races, certaines différences inquiétantes dans les statistiques comparées. Sur le fleuve, les vapeurs s’ameutent ; ils chargent pour Rotterdam les marchandises du port considérable qu’est devenue Cologne. En moins de vingt ans, la population a plus que doublé. Partout les pulsations aisées, le rythme nombreux et ordonné d’une vie abondante.

À la cathédrale, le dimanche matin. — Les jeunes clercs du séminaire font leur entrée dans la nef, vont prendre place au chœur pour la grand’messe. Une procession ? Non : une milice ecclésiastique formée en colonne de compagnie, qui se hâte vers un service commandé. Ces lévites gardent le pli militaire ; nul laisser aller dans leur tenue, point de gaucherie ni d’affectation dans leurs manières ; une mise soignée, une expression de gravité virile sur les jeunes visages. Ils marchent d’un pas preste et décidé ; le pas de l’homme qui va vers un but, pour y faire une chose qu’il sait et veut : pour y combattre, probablement. N’étaient leurs soutanes, on dirait des élèves d’une grande école,