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chétive d’aspect, rudement maintenue sous son harnais militaire, fidèle aux simples habitudes d’une vie étroite.

J’ai visité sa capitale, quelques-unes de ses villes provinciales, et tout d’abord les grands ports dont le nouvel empire est justement fier. On n’apprendrait rien au lecteur en lui décrivant Berlin, Leipsig ou Francfort ; la facilité des voyages rend ces villes familières à beaucoup de nos compatriotes. J’extrais de mon carnet de route les notes relatives aux villes hanséatiques. Mieux que partout ailleurs, on y peut prendre la mesure de la nouvelle Allemagne ; on y peut vérifier et généraliser les observations recueillies dans les autres parties de l’empire. Je transcris ici ces notes prises au hasard des promenades, et quelques réflexions suggérées par les gens, les choses que je voyais. Telle vision rapide nous renseigne parfois sur les évolutions d’un peuple mieux qu’une copieuse statistique. D’anciens souvenirs m’ont permis d’opposer, comme en un diptyque, la figure du présent à celle du passé. Elle est significative, sinon très gaie, la comparaison que font les mêmes yeux, à vingt-cinq ans de distance, entre l’état où ils avaient laissé un pays et les conditions nouvelles qu’ils y retrouvent.

Cologne.

Je croyais bien connaître cette ville. J’y passais fréquemment, jadis ; et chaque fois j’allais honnêtement saluer mon royal patron, le mage vagabond qui s’en vint d’Orient à Milan, de Milan à Cologne. On me montrait, à travers la grille d’or de sa châsse, son crâne encerclé d’une belle auréole de diamans. Que ce soit bien là le propre chef du roi noir, lui-même n’en jurerait pas ; un voyageur qui a fait tant de chemin, parmi des populations acharnées à se disputer ses restes, a pu égarer sa tête. Mais la chose est sans importance. Le crâne apporté de Lombardie a huit ou neuf siècles de possession d’état ; c’est déjà une légitimité respectable.

Je croyais connaître Cologne : et, dès cette première étape, j’éprouve le sentiment qui ne me quittera plus : on m’a changé mon Allemagne, la vieille bonne femme s’est muée en une jeune géante. Je cherche à m’orienter sur le parvis du Dôme : où sont les modestes maisons, à l’enseigne des Jean-Marie Farina, qui enserraient de leurs pignons la cathédrale inachevée ? Disparues, les façades vieillottes derrière lesquelles ces alchimistes